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sociale, tandis que, dans l’organisation vivante, il suffit qu’elle subsiste pour que tout y dépende d’abord des fonctions nutritives. Dans cette différence entre le corps social et le corps animal apparaît par une autre face la différence essentielle entre la sociologie et la biologie. En tout cas, il valait la peine de prévenir de fausses conséquences qu’on aurait pu tirer de l’analogie entre la vie végétative et l’économie politique.

M. Mill conteste à M. Comte le mérite d’avoir le premier rendu positives les recherches sociologiques. Voici comment il s’exprime : « On ne saurait nier que les meilleurs auteurs, sur des sujets qui avaient occupé les facultés de tant d’hommes de la plus haute capacité, n’aient accepté aussi complètement que M. Comte le point de vue positif et rejeté aussi décidément que lui les points de vue théologique et métaphysique. Montesquieu, même Machiavel, Adam Smith et tous les économistes, tant en France qu’en Angleterre, Bentham et tous les penseurs initiés par lui avaient la pleine conviction que les phénomènes sociaux se conforment à des lois invariables que leur grand objet fut de découvrir et d’illustrer. Tout ce qui peut être dit, c’est que ces philosophes n’allèrent pas aussi loin que lui dans la découverte des méthodes les plus propres à mettre ces lois en lumière. » Que ces philosophes aient conçu comme réglés les phénomènes sociaux, je ne le conteste pas; mais c’était là une vue de l’esprit simplement hypothétique tant que des lois n’y avaient pas été effectivement constatées. Que ces philosophes aient connu bon nombre de faits positifs, je ne le conteste pas non plus; mais connaître de tels faits ou connaître la loi fondamentale d’une science sont deux choses bien différentes. Ce que l’on remarque ici en histoire s’est remarqué semblablement en chimie et en biologie, où l’on a eu, pendant un certain intervalle, des faits positifs sans doctrine positive, des systématisations partielles sans systématisation générale. Celui-là seul a rendu positives les recherches sociologiques, qui, le premier, a transformé une vue simplement hypothétique en une loi vérifiée, et qui a donné aux faits positifs acquis un lien non soupçonné aussi longtemps qu’il n’y avait eu que des systématisations partielles. Il ne faut pas attribuer à la préparation ce qui ne convient qu’à la constitution.

Au point de vue de M. Comte (et je m’y range sans réserve), la constitution de la sociologie est nécessaire pour que se fasse la philosophie positive. Je ne sais quel est là-dessus l’avis de M. Mill; il me reste douteux s’il conçoit la philosophie positive, à l’exemple de M. Comte, comme une éclosion que produit la coordination des faits généraux des sciences, ou s’il la fait dériver de quelque autre source, de quelque autre combinaison. Pour l’une et l’autre alternative, la sociologie conserve le caractère de science, et la théorie