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le principe rationaliste, et en même temps elle agrandissait le champ de la spéculation, car au domaine théologique, qui ne comportait que l’idée de personnes divines ou théisme, et qu’une métaphysique des écoles élaborée de concert avec la théologie, elle ajoutait le panthéisme ou système dans lequel la vie, l’esprit, le divin est infusé à toute chose, à tout être, à tout phénomène, et le matérialisme ou système des atomes, dans lequel le mouvement et la forme des atomes sont supposés les producteurs de tout. On ne peut donc pas ne pas considérer la philosophie métaphysique comme un avancement considérable dans la spéculation philosophique.

Après la philosophie métaphysique vient dans l’ordre des temps et du développement la philosophie positive, nouvelle conception du monde, où règnent non des volontés, mais des lois, d’où sont bannies les idées nécessaires de l’ancienne métaphysique, et où tout, émanant de l’expérience, retourne à l’expérience. Ce grand achèvement, qui est l’œuvre de M. Comte, avait toujours été jugé philosophiquement impossible; mais pour cela il fallut, ce qui n’est guère un moindre achèvement, partager l’univers en deux parties, celle que nous connaissons et où notre intelligence a pour fanal l’expérience, et celle que nous ne connaissons pas, interdite à toutes nos spéculations.

Pour les anciennes philosophies, l’univers est un tout infini dans lequel l’intelligence humaine se promène sans trouble et sans terreur, donnant aux principes qu’elle y suppose une égale infinité, n’y laissant aucune place où elle n’introduise sa raison, le droit de concevabilité et celui d’inconcevabilité, et réglant des choses reculées aussi loin des yeux corporels que des yeux de l’esprit avec un sang-froid qui jette aujourd’hui le moindre penseur dans un profond étonnement. Ces philosophies y sont, si je puis ainsi parler, en pays de connaissance, et ce qui leur paraît nécessaire leur paraît en même temps réel, éternel et infini. Mais à peine la philosophie positive a-t-elle pris possession de son empire que cet univers, cessant de se montrer concevable en son ensemble, se partage en deux parts, l’une connue selon les conditions humaines, l’autre inconnue soit dans l’étendue de l’espace, soit dans la durée du temps, soit dans l’enchaînement des causes. Cette séparation entre l’accessible et l’inaccessible est la plus grande leçon que l’homme puisse recevoir de la vraie confiance et de la vraie humilité.

J’ai noté que la philosophie théologique est l’œuvre de la raison concevant des volontés dans les choses; j’ai noté que la philosophie métaphysique est l’œuvre de la raison mettant dans les choses les vues de l’esprit comme nécessaires; je note maintenant que la philosophie positive est l’œuvre de la raison prenant dans les choses