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intellectuel, moral et social. Comme ses facultés intellectuelles renferment la faculté de connaître, la science de l’homme renferme tout ce que l’homme peut connaître, en d’autres termes toute la doctrine des conditions de la connaissance humaine. » Cette définition confond la philosophie avec une logique générale, si bien que, quelques lignes plus bas, il nomme la philosophie d’une science logique de cette science.

Il m’est impossible d’accepter cette manière de voir et de confondre la logique et la philosophie. Je sais bien que, dans le passage que je viens de transcrire, il est parlé de « tout ce que l’homme peut connaître par ses facultés intellectuelles, » et j’accorderai, si l’on veut, que de cette formule on peut faire sortir les sciences positives, et peut-être leur classification; mais il n’en est pas moins vrai qu’en disant la philosophie étude de l’homme, on manque le droit chemin que M. Comte a sûrement tracé. La philosophie est l’étude générale du monde, ou, en terme scolastique, de l’objet, et dans ce monde, dans cet objet, l’homme se retrouve à sa place, soit comme être vivant, soit comme être social. Mettre l’homme en tête de la philosophie, c’est donner un faux titre, si l’on ne veut que rentrer, après un détour, dans la voie objective, ou donner une fausse méthode, si en effet le point de vue psychologique est celui duquel on part.

Mon objection est de même nature quand il nomme la philosophie d’une science logique de cette science. « La philosophie d’une science signifie cette science même considérée non quant à ses résultats et aux vérités qu’elle découvre, mais quant aux procédés par lesquels l’esprit les atteint, quant aux caractères par lesquels il les reconnaît, et quant à la coordination et à la méthode qu’il y introduit, — en un mot la logique de la science. » Ici M. Mill identifie complètement philosophie avec logique; à tort, selon moi. La philosophie d’une science est ce qu’a fait M. Comte pour la mathématique, pour l’astronomie, pour la physique, pour la chimie, pour la biologie. Quand on dit logique d’une science, on assimile cette science à l’entendement auquel la logique appartient en propre, et on entend les conditions sous lesquelles elle pense, si je puis parler ainsi, et elle connaît. Or ces conditions ne sont pas les généralités qui en constituent la philosophie, ce qui devient très visible dans l’opposition entre logique de l’esprit humain et philosophie de l’esprit humain : logique de l’esprit humain, c’est-à-dire conditions de la pensée et de la connaissance; philosophie de l’esprit humain, c’est-à-dire idées générales sur la psychologie. Enfin au fond de tout cela, et c’est là que j’en veux venir, on voit que la logique est formelle, et la philosophie réelle; la logique, une manière d’être de