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plaisir, bien qu’avec un instinct assez juste, classé parmi les positivistes et attaqué comme tel. » Pour achever de caractériser la position, je note les paroles où il exprime que l’œuvre de M. Comte est une vue saine de philosophie avec un petit nombre d’erreurs capitales. Je m’efforcerai tout à l’heure de montrer que là où la critique est juste l’erreur n’est pas capitale, et que là où l’erreur serait capitale la critique n’est pas juste.

Après avoir rappelé que M. Comte aimait à considérer Descartes et Leibnitz comme ses principaux précurseurs, M. Mill, qui trouve en effet beaucoup de ressemblance entre eux et lui, esquisse brièvement le parallèle. « Ils avaient, comme lui, une puissance extraordinaire d’enchaînement et de coordination ; ils enrichirent le savoir humain de hautes vérités et d’importantes conceptions de méthode ; ils furent, de tous les grands penseurs scientifiques, les plus conséquens — et pour cela souvent les plus absurdes, parce qu’ils ne reculèrent devant aucunes conséquences, bien que contraires au sens commun, qui découlaient manifestement de leurs prémisses. » Cela est vrai de Descartes et de Leibnitz ; mais cela est-il vrai de l’œuvre de M. Comte ? Ils furent les plus conséquens et pour cette raison souvent les plus absurdes Non, ce n’est pas pour cette raison. La conséquence est la première qualité d’un philosophe, et philosopher sans elle est une chétive besogne. L’absurdité de Descartes et celle de Leibnitz, auxquelles M. Mill fait allusion, sont pour l’un la doctrine de l’automatisme des bêtes, et pour l’autre l’harmonie préétablie entre l’âme et le corps. Descartes, dans sa philosophie toute psychologique, se fondait exclusivement sur le témoignage de l’âme humaine ; mais ce témoignage se trouvait inquiété par toutes ces apparences d’âmes que présentent les animaux avec leur sensibilité, leur moralité, leur intelligence, moindres sans doute que chez l’homme, mais de même apparence. Il se débarrassa de l’obstacle en le niant, soutint que les animaux étaient des machines, fut conséquent, révolta le sens commun, et ne douta pas que la vérité suprême qu’il croyait tenir n’emportât tôt ou tard l’exception gênante et inexpliquée qui se rencontrait dans la nature des bêtes. Il en est arrivé tout autrement, et c’est l’exception qui a emporté le prétendu principe ; la science postérieure a reconnu que, puisqu’il n’existe aucune différence anatomique absolue entre le cerveau de l’homme et le cerveau des bêtes, et non plus aucune différence fonctionnelle absolue par rapport aux facultés, les phénomènes sont de même ordre, et qu’une psychologie qui nie ce fait, une philosophie qui se fonde sur cette psychologie, sont avortées. L’erreur de Descartes n’est pas d’avoir été conséquent, c’est d’avoir eu un faux principe.