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dissentimens que son nouveau travail a pour but d’exposer dans tout leur jour et dans leur forme définitive.

Malgré les dissentimens, cette publication a été favorable à la philosophie positive. Le nom de M. Mill, justement célèbre, a agrandi pour elle le champ de la publicité. C’est quelque chose, car en tous lieux se trouvent des esprits qui l’ignorent, mais qui, impatiens de théologie et de métaphysique, sont curieux de ce qui se propose pour les remplacer.

Ce nouveau travail de M. Mill a produit en moi des impressions di- verses : tantôt j’ai voulu le traduire, tantôt j’ai voulu le combattre, suivant qu’il m’attirait ou me repoussait ; mais cela n’a pu durer. Il fallait ou que M. Mill m’attirât de son côté, ou que M, Comte me retînt du sien. Voilà bien des occasions où je suis amené à faire passer par une épreuve rigoureuse mon adhésion aux dogmes fondamentaux de la philosophie positive. Cette fois l’épreuve à laquelle M. Mill présidait a été particulièrement sévère ; mais cette fois encore mon esprit s’est confirmé dans cette adhésion, et, rassemblant mes forces, j’ai informé M. Mill que je tenterais de lui répondre comme on répond à un homme qu’on admire et qu’on aime.

Inséré dans la Revue de Westminster, réimprimé à part en Angleterre, bien accueilli à New-York, l’ouvrage de M. Mill a obtenu un notable succès. Ce serait scinder le témoignage que d’attribuer le succès, indépendamment du talent et du renom de l’auteur, à ce que M. Mill dit en faveur de l’œuvre de M. Comte, car il y approuve de grandes choses ; mais ce serait le scinder aussi que d’attribuer le succès à la critique qu’il en fait. Louange et critique ont attiré l’attention, car le public sait qu’un débat entre la théologie, la métaphysique et la science, tel que le condense et le résume la philosophie positive, est une grosse affaire. M. Comte, dans sa première carrière, immolant tout à son œuvre, personnalité et succès, déclarait se contenter de cinquante lecteurs en Europe. Les temps ont fait plus, les temps ont fait mieux ; pourtant la philosophie positive reste toujours la grande nouveauté, ne récompensant ceux qui la servent que par le sentiment de l’avoir servie.

Je suis un disciple de la philosophie positive ; M. Mill en est un critique, critique qui y est très versé, dont le mode de penser la côtoie, mais enfin qui serait fâché que l’on crût qu’il lui appartient, et c’est à lui-même sans doute qu’il fait allusion quand il dit : « Bien que le mode de penser désigné par les termes positif et positivisme soit très répandu, on connaît mieux, comme c’est l’ordinaire, les mots eux-mêmes par les adversaires que par les partisans, et plus d’un penseur qui jamais n’a donné ni à lui ni à ses opinions cette qualification, se gardant soigneusement d’être confondu avec ceux qui se la donnent, se trouve quelquefois à son dé-