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LE DERNIER AMOUR.

Je marchai légèrement, et je descendis au jardin. Quelques instans après, je vis passer le vieux médecin qui commençait sa tournée. Je l’appelai, et nous causâmes de la santé de Félicie. Il m’approuva de l’avoir fait promener et me conseilla de réitérer les excursions. Il l’avait vue quelques jours auparavant, il la trouvait très bien. Je crus devoir lai dire pourtant qu’elle était plus triste que de coutume et comme indifférente à tout ce qui d’ordinaire réagissait sur elle. Je lui fis même observer que ses fenêtres n’étaient pas encore ouvertes. C’était la première fois que je la voyais dormir aussi tard. Enfin je le priai d’attacher son cheval à la porte et d’attendre un peu avec moi que ma femme fût visible. Il y consentit.

Une demi-heure s’écoula. Nous parlions d’elle. — Vous avez suivi mon conseil, me disait Morgani ; vous avez, par je ne sais quel moyen et sous je ne sais quel prétexte, — cela ne me regarde pas, — empêché le retour de Tonino ; vous avez bien fait. Ce drôle lui a causé de grands chagrins, et si elle n’eût été une femme forte comme elle l’est, il eût pu l’entraîner dans de grands malheurs. À présent tout va bien : elle est calme, vous voyez, elle dort le matin. Elle vous paraît morne, c’est l’activité fébrile qui cède. Ne vous inquiétez pas, vous l’avez soignée et traitée avec l’intelligence du dévouement. Vos peines ne seront pas perdues ; bientôt vous en recueillerez le fruit.

Ainsi parlait le médecin, et Félicie ne s’éveillait pas. Il s’étonnait de mon inquiétude ; je le priai de m’attendre. Je rentrai dans la maison, j’allai frapper à la porte de Félicie ; on ne me répondit pas. Les servantes alarmées me dirent qu’elles avaient déjà frappé inutilement, que la maîtresse était enfermée, qu’elle ne dormait pas, car elles l’avaient entendu remuer, mais qu’elle ne voulait pas répondre et qu’elles ne savaient que faire.

J’enfonçai la porte. Félicie était assise sur un fauteuil auprès de la table, la tête appuyée sur ses mains, les membres tellement roidis que je ne pus changer son attitude ; puis tout à coup le corps s’assouplit, la peau brûlante se refroidit rapidement, la tête se laissa relever, les yeux s’ouvrirent, et les lèvres articulèrent des mots confus.

Morgani, attiré par le bruit que j’avais fait pour enfoncer la porte, s’élança vers moi et me dit : — De l’air, de l’air ! elle étouffe. Pendant que j’ouvrais la fenêtre, Félicie expirait dans ses bras. Le docteur éperdu me montra d’un geste expressif une lettre ouverte et un verre vide sur la table. Je respirai d’abord le verre, il avait contenu du laudanum. Je jetai les yeux sur la lettre : elle était adressée à Tonino ; je m’en saisis, je la cachai dans ma poche.

— Il faut la lire, me dit Morgani.