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monte. C’est le profond repos qu’exige l’être après les luttes suprêmes. Ce n’est pas un épuisement de la charité, c’est celui de la vaine sensibilité qu’une certaine paresse de cœur entretient en nous. C’est une protestation que notre dignité nous impose sous peine de nous abandonner.

Je me rendis à cette voix qui parlait en moi, et de moi à moi-même. C’était le vrai moi humain, complet et sûr de lui, qui réclamait son droit à la vie normale.

Oh ! non, non, pensais-je, ce n’est pas un préjugé, ce n’est pas une tyrannie que de vouloir être aimé exclusivement quand on a vraiment aimé ainsi soi-même, et que rien n’a excusé ni seulement motivé la trahison. On a avili mon amour, on l’a condamné au partage, … car Félicie avait menti à son amant ! Elle était revenue à moi plus d’une fois durant sefe amours avec lui, et on m’avait conduit les yeux fermés dans un temple d’impureté où j’avais cru embrasser l’autel de la chasteté conjugale. Devais-je pardonner cela ? Non, puisque je ne devais pas l’oublier ? Et puisque je ne le pouvais pas malgré des efforts de dévouement où ma raison avait failli se briser, c’est que la nature ne le voulait pas. Dieu ne pouvait pas faire le miracle que je lui avais demandé, Dieu ne fait pas de choses insensées.

Je retrouvai le calme ; je revins prendre mon repas avec ma femme. Je lui parlai avec une douceur plus grande encore que de coutume. Elle m’avait cru malade, disait-elle, elle était inquiète de moi. Ne pouvais-je lui expliquer les larmes et les cris qui m’étaient échappés dans ses bras ? Je ne le pouvais pas sans mentir. Je ne voulais pas mentir davantage ; je ne voulais pas parler non plus. Ne pouvions-nous pas nous entendre sans entrer dans d’odieuses explications ?

— Soyez certaine, lui dis-je, que si j’ai quelque grand chagrin intérieur, ce qui est toujours possible dans une vie quelconque, je le surmonterai et ne vous le rendrai pas insupportable. Je vous demande seulement de ne pas m’interroger quand je souffre, et de ne jamais rien craindre de ma part. Vivez aussi heureuse que possible, et ne me regardez pas avec cet air d’épouvante qui me fait injure. Si vous avez aussi quelque chagrin secret, ne l’envenimez pas par des frayeurs inutiles. Je veille sur votre réputation, sur votre sécurité, sur votre indépendance. Aucune catastrophe, aucune lutte ne vous menace. Désormais je n’ai qu’une préoccupalion, qui est le rétablissement stable de votre santé, la dignité et la tranquillité de votre vie ; je vous l’ai prouvé, je vous le prouverai toujours, et, loin qu’il m’en coûte, ce sera ma suprême consolation dans les épreuves qui pourront survenir.