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LE DERNIER AMOUR.

— Pourquoi ? expliquez-vous. Je suis aussi calme et aussi sage que vous pouvez le désirer.

— Il faut que je m’explique ? J’aurais cru que vous m’aideriez et que vous étiez pour quelque chose dans le départ du cousin. Eh bien ! n’importe. Sachez que Tonino est amoureux de Félicie, que cela trouble son ménage, et que Félicie est offensée de cet amour, qui persiste en dépit de son indignation.

— Vous êtes mal renseigné, docteur. Tonino n’est pas amoureux de Félicie, son ménage est heureux : donc Félicie n’a pas lieu d’être offensée.

— Alors prenez que je n’ai rien dit. Administrez de légers fébrifuges avec prudence, et tâchez de ramener la gaîté : moi, je croirai que les aveux délirans de votre femme n’ont aucun sens et ne portent sur aucune réalité.

Je m’installai auprès de Félicie. Elle délirait en effet, et je ne devais permettre à personne de surprendre ses paroles. Elle était surtout dévorée de colère contre Tonino et Vanina. Il n’y avait ni regret, ni amour, ni crainte, ni remords dans ses plaintes. Elle n’était malade en ce moment-là que de honte et de dépit.

Dans la nuit, elle s’apaisa et me reconnut. Elle me demanda avec effroi si elle avait parlé dans son sommeil. Je lui dis que non. Elle dormit plus tranquille.

Peu de jours après, elle fut rétablie ; mais ce n’était qu’une guérison relative. La fièvre persistait, peu déterminée, mais incessante. Morgani m’assura que c’était l’état normal d’un pouls exceptionnel. Plus attentif que lui, je constatai une aggravation, et dès lors je résolus de guérir le moral autant que possible.

L’expiation était suffisante, elle était même trop grave, si elle mettait la vie en danger. La répression était complète et absolue. Je ne comptais pas contraindre Félicie à payer toute sa vie les amers plaisirs d’un an d’adultère. Tonino avait très bien compris mon attitude méprisante : il était trop craintif pour tenter rien de nouveau contre moi. Ma misérable femme était donc délivrée de lui. Le fait humiliant de donner de l’argent pour cela était une leçon assez cruelle et assez amère.

Mon devoir était désormais de tenter la réhabilitation de cette âme brisée. Il fallait la mettre à même de sentir, sans trop de blessure, l’aiguillon du repentir, et de lui ouvrir l’horizon d’un avenir plus digne d’elle. Mon ressentiment était apaisé, ma dignité satisfaite. J’étais tout entier à la compassion, j’appartenais à la loi de patience.

Et d’abord je me demandai si, la crise passée, il serait utile à cette conversion de montrer le rôle que j’y jouais. Je reconnus bien