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été pour vous une douce joie d’adopter cet enfant et de vous croire sa mère. Ce bonheur a duré des années : il a constitué des droits au (ils adoptif.

Elle respira. Elle admira ma candeur, mais elle n’osa plus la discuter, et le lendemain, dévorée d’une inquiète curiosité, elle alla trouver la Vanina.

Celle-ci n’était pas tout à fait aussi simple qu’elle le paraissait. Elle était femme à l’occasion, et d’ailleurs Tonino lui avait toujours donné à entendre ou à deviner que Felicie était encore sourdement éprise et jalouse de lui. Si elle ne craignait pas précisément cette rivalité, elle n’en soulfrait pas moins, honnête comme elle l’était, de voir son mari sous la dépendance d’une femme qui, à un moment donné, pouvait lui vendre honteusement ses bienfaits. Voilà en quelle abjection Félicie était tombée dans l’esprit peu développé, mais assez juste de son ex-servante.

C’est là précisément que l’attendait le plus amer de ses châtimens, celui que je n’avais pas songé à lui infliger et dont se chargeait l’inexorable logique des faits. Comme elle interrogeait un peu vivement et d’un ton d’autorité la Vanina sur la manière dont s’était opéré le brusque départ de son mari, sur ce qui s’était passé entre lui et moi à ce moment-là, la jeune femme, à qui j’avais recommandé la discrétion durant quelques jours, refusa de s’expliquer et se mit en révolte ouverte. J’ignore ce qui se passa précisément entre elles et quelles terribles révélations furent échangées. Félicie se mit au lit en rentrant, et je dus appeler le médecin. C’était toujours ce même Morgani qui l’avait soignée dès son enfance.

— Ah ! me dit-il après l’avoir vue, elle a eu une grande émotion.

— Elle vous l’a dit ?

— Elle ne dit jamais rien, et je n’ai besoin de rien savoir quand j’ai tâté son pouls.

— Son mal est-il sérieux cette fois ?

— Cela vous regarde. Consolez-la, et elle résistera au mal chronique qui la menace.

— Vous parlez maintenant d’un mal chronique ? Quel est-il ?

— Il n’est pas déterminé, mais il est innninent, si l’exaspération générale continue.

— Ainsi, mon ami, vous ne voyez rien à faire, et vous venez pour l’acquit de votre conscience ?

— De ma conscience d’ami, car ma conscience de médecin n’a rien à voir dans tout ceci ; mais écoutez-moi avec calme, comme il convient à un époux dévoué et à un philosophe. On me dit que Tonino est parti : faites qu’il ne revienne pas.