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venir de vos enfans dépendent de ce voyage, et la promptitude assure absolument le succès. Ne vous alarmez de rien, réjouissez-vous au contraire. Gardez pendant quelques jours le secret sur ce départ. Votre mari vous écrira de sa première étape, et dans six semaines vous serez réunis, j’en réponds.

Tonino confirma mes paroles, embrassa sa famille avec agitation, prit quelque argent et boucla son sac de voyage. Nous partîmes sur la route d’Italie.

— C’est par là que vous allez ? lui dis-je.

— Oui, je veux aller d’abord dans mon pays pour donner un air de vraisemblance à mon voyage.

— C’est bien vu ; mais votre pays est trop près, je ne vous permets pas d’y rester plus de vingt-quatre heures.

— J’irai en Vénétie. Nous avons là des parens éloignés, un reste de famille. J’ai besoin d’une notoriété quelconque pour m’établir.

— Allez.

— Comment recevrai-je là la somme et la quittance ?

— Je vous les porterai en vous conduisant Vanina et vos enfans.

— Mais toutes les choses que je laisse ? mes affaires en train, mon bétail, mon mobilier ?

— Je me charge de tout comme si vous étiez mort, et que j’eusse à liquider la situation de votre famille.

— Il y aura bien du préjudice !

— On vous le paiera.

— Vous consentez à ce que je vous écrive ?

— Non. Vous n’écrirez qu’à votre femme. Toute infraction à mes volontés annulera mes promesses.

— J’obéirai, dit-il. Voulez-vous me permettre de vous remercier ?

— Je vous le défends au contraire.

Il hésita un instant à s’éloigner et tenta je ne sais quelle comédie. Il plia le genou devant moi et pleura de vraies larmes. Il pleurait à volonté, comme les femmes.

— Relevez-vous, lui dis-je, et partez !

— Eh bien ! s’écria-t-il, frappez-moi, crachez-moi à la figure, foulez-moi aux pieds. J’aime mieux cela que votre indifférence.

Je lui tournai le dos. Il prit son parti et disparut.

Je retournai auprès de Félicie, je ne lui dis rien. Je vaquai hmes occupations habituelles. J’étais bien sûr que Tonino ne lui écrirait pas. Il la redoutait ; peut-être la haïssait-il. Dans tous les cas, il s’applaudissait d’un dénoûment qui l’enrichissait au gré de son ambition, en le délivrant du tourment de feindre la passion