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LE DERNIER AMOUR.

orgueil et par besoin de chercher sa réhabilitation plus haut que dans son milieu. — M’avait-elle vraiment aimé ? Pourquoi non ? Elle avait eu l’aspiration au vrai, la curiosité de l’esprit, comme Tonino avait eu celle des sens. Je me rappelle l’ardeur avec laquelle ses yeux m’interrogeaient quand je parlais devant elle, puis ses questions, ses objections, son ergotage, ses soumissions enthousiastes, ses luttes renaissantes, les révoltes et les abandons de son âme troublée, ses inintelligences systématiques, ses élans généreux, ses feintes humilités, ses sourdes colères, ses lassitudes affectées, ses réveils spontanés, tout ce monde de pensées et de sentimens que nous avions remué ensemble dans nos longs entretiens et dans nos irréprochables tête-à-tête. Elle avait alors énormément pris sur elle, soit qu’elle eût joué une habile comédie, soit qu’elle eût sincèrement résolu de dompter ses instincts, car elle m’avait semblé la plus chaste des femmes, et jamais impureté secrète ne fut mieux cachée.

Même dans l’effusion d’amour sanctionnée par le mariage, Félicie avait su jouer son rôle. Elle avait soigneusement gardé avec moi le charme de la pudeur, et, en y songeant bien, je concevais qu’elle eut pu comprendre et goûter à son tour le charme des voluptés exquises sans s’imposer l’effort de la ruse. Il y avait tout un côté de son être, délicatement perfectible, par lequel elle appréciait la passion vraie, la sainteté de l’amour exclusif. N’était-elle pas d’autant plus criminelle de vouloir compléter sa vie par les acres plaisirs de l’adultère ?

Peut-être regardait-elle ceci comme un droit. L’idée admise par certaines écoles philosophiques de développer l’être dans toutes ses manifestations et de le satisfaire dans tous ses appétits avait pu être admise aussi par cette femme incertaine et troublée ; mais aucune doctrine de liberté, quelque cynique qu’elle fût, n’a jamais admis l’imposture systématique. Les partages de sentiment, les promiscuités les plus éhontées ne se sont jamais mises en principe sous la protection d’un époux trompé. Félicie avait regardé comme un grand bienfait de mon affection, comme un grand honneur rendu par moi à son caractère, le mariage qui nous liait. Elle ne voulait pas renoncer à ces avantages. Elle les conservait au prix du mensonge : pouvait-elle se croire innocente et seulement excusable ?

Elle avait des remords, mais insuffisans pour la retirer du mal. Elle avouait elle-même qu’aux jours de sa passion satisfaite elle avait été insouciante comme un oiseau et s’était sentie pure comme une fleur ! Elle était entrée alors dans cet état de l’âme que, ne l’ayant pas connu, je ne pouvais pas juger : l’enivrement absolu. Ce