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consciences moins absolues que ne l’admet Descartes, et si Descartes a raison aussi d’étendre, plus que ne le fait Spinosa, le domaine de cette responsabilité et de cette liberté, nous ne trouvons ni chez l’un ni chez l’autre le dernier mot de cette grave question. Le catholicisme est cartésien en ce sens qu’il admet la responsabilité absolue, partant le châtiment éternel. — Le catholicisme ne résout donc rien, puisque le châtiment éternel est repoussé par la raison, par le sentiment et même par l’expérience, procédant par analogie. Les nouvelles philosophies admettent toutes une notion supérieure, et il ne faut être ni bien érudit, ni bien subtil pour être frappé de la vérité qui se dégage des principales études de notre époque. C’est une vérité claire, basée sur l’expérience, c’est-à-dire sur la critique de l’histoire des hommes, et qui a cette rare puissance d’expansion que la raison et le sentiment l’acclament aussitôt.

L’homme n’est ange ni bête, eût dit Pascal. — Nous disons en somme aujourd’hui la même chose, et nous le disons tous ou à peu près tous ; l’homme subit en grande partie la fatalité de ses instincts, son âme n’est pas absolument libre ; en certains cas, beaucoup trop fréquens pour qu’on les dise exceptionnels, cette âme n’est même pas du tout libre. Et pourtant Spinosa est sinon condamné, du moins dépassé et rectifié. L’homme est un agent moral. Quand il n’est pas, en tant qu’individu, responsable de ses pensées et de ses actes, il est susceptible, en tant que membre de l’humanité, de le devenir. L’espèce a été créée perfectible : l’homme est donc virtuellement libre ; chaque siècle, chaque heure de son existence ôte une écaille de ses yeux, adoucit une rudesse de son instinct, développe une lumière de sa raison, une puissance de son cœur.

Cela ne paraît pas toujours dans l’ensemble, mais cela est. Même aux époques qui semblent pencher vers la décadence, un travail souterrain répare en préparant. La vie de l’humanité a ses hivers plus ou moins rudes, ses printemps reviennent toujours, et, comme le milieu de l’homme progresse insensiblement, l’homme, qui a la sensibilité, progresse sensiblement et insensiblement à la fois.

Une société peut être gangrenée, elle peut se dissoudre et disparaître. La vérité a marché quand même. N’eût-elle qu’un représentant debout, elle existe, elle se répandra, elle formera des sociétés nouvelles. Les cataclysmes ne détruisent pas les lois divines, ils n’altèrent pas plus l’essence des choses morales et intellectuelles qu’ils n’altèrent l’essence physique. Non-seulement ces vérités ne périssent pas, elles montent et s’épurent.

La conséquence de mon humble philosophie personnelle était bien facile à déduire. Si les coupables que j’avais à juger étaient, à n’en