Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/787

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voir Fouquet faire un habile appel, qui le sauva finalement, à cette puissance de l’opinion encore inconsciente d’elle-même.

Le milieu du règne et ce qu’on appelle l’époque de son apogée sont occupés par la sinistre affaire des poisons : la chambre de l’Arsenal, instituée pour la répression de ce genre de crime, fit suite à la chambre de justice chargée de poursuivre les financiers. On n’imaginerait pas sans les témoignages irrécusables recueillis par M. Clément ce que fut ce terrible épisode du grand règne, les aberrations de tout genre, les meurtres, les sacrilèges, les incestes qu’enfantait l’astrologie judiciaire, et que révélèrent les enquêtes commencées pour les empoisonnemens, les soupçons gagnant peu à peu depuis les plus vils intrigans jusqu’aux plus hautes personnes de la cour, et les victimes tombant d’ailleurs jusqu’auprès du roi. Le cri de Bossuet sur la mort foudroyante de Madame fut répété avec épouvante. Mme de Montespan se vit accusée d’avoir fait fabriquer des philtres et des poudres d’amour, comme on disait, pour retenir à elle Louis XIV; Colbert souffrit toutes ses dernières années d’une affection d’estomac qui fut attribuée au poison; quand Fouquet mourut, en 1680, on eut la pensée que c’était quelque poison aussi qui l’avait tué... Jusqu’au doux Racine qui fut soupçonné d’être un empoisonneur! M. Clément a raison d’ajouter après avoir rapporté l’absurde dénonciation dont il fut l’objet : « Espérons qu’il ne l’a jamais su! » — Somme toute, la chambre de l’Arsenal traduisit à sa barre quelques centaines d’accusés. Un certain nombre périrent par la corde, le fer ou le feu; les autres furent confinés dans les prisons d’état ou bien exilés.

Les persécutions contre les protestans occupent dans les annales du grand règne la page qui suit celle des empoisonnemens. M. Clément n’excuse à ce sujet rien de ce qui est blâmable : loin de là; mais il montre du moins comment la population elle-même donnait dans cet aveuglement, combien elle était pour sa part intolérante, et combien elle excitait le pouvoir, qui aurait dû résister. Tout le système des lettres de cachet, des ordres d’exil, des conversions par logemens, comme on les appelait, et des enlèvemens d’enfans, est ici développé à l’aide de témoignages qu’on admettrait difficilement, s’ils n’étaient si parfaitement authentiques. Cette dernière forme de persécution, qui consistait à faire élever par des catholiques les enfans des familles protestantes, a été d’un fréquent usage et s’est continué jusqu’après le règne de Louis XIV. Un certain Duhamel de Bourseville étant mort en laissant une veuve et un fils, et la veuve appartenant au culte réformé, il arriva, vers le milieu de juillet 1728, que le ministère fit enlever le fils par lettre de cachet et le fit conduire chez les jésuites de Metz pour y être élevé dans la religion catholique. Je trouve à nos archives des affaires étrangères la curieuse pétition de ce même Charles Duhamel, en février 1775, conçue ou du moins résumée en ces termes, qui ne laissent pas d’être caractéristiques : « Quoi qu’il soit pénétré de la plus vive reconnaissance de la bonté que le roi a eue de le faire élever dans la religion