Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
74
REVUE DES DEUX MONDES.

des résultats heureux. On était assuré, sinon d’une merveille, du moins d’un effet d’ensemble majestueux et simple, de détails sobres et châtiés. Deux grandes innovations survenues après coup ont démenti ces espérances, d’une part la surélévation des façades, de l’autre l’invasion d’un luxe sans mesure dans certaines parties de l’ornementation. Le monument qu’on nous a fait et qu’il faut accepter, car personne à coup sûr ne s’avisera de le refaire ni même de le corriger, ce monument, qui peut durer des siècles, ne sera pas un témoin commode pour faire le panégyrique de l’art de notre temps. Et cependant, il faut le dire encore, ce n’est pas faute de talent que tant d’erreurs ont vu le jour ; nous en avons la preuve sans sortir de ce Louvre lui-même, et c’est pour nous un vrai plaisir, avant de passer aux Tuileries, où tant d’autres sujets de plainte nous attendent, que de pouvoir enfin interrompre nos doléances par des éloges et des remercîmens.

N’était-ce pas en effet une œuvre difficile que d’établir entre la place du Palais-Royal et le square Napoléon III un passage voûté, qui malgré sa longueur ne prît pas l’apparence d’un tunnel de chemin de fer, qui ne fût ni obscur, ni écrasé, ni humide, qui, tout en s’accommodant à la hauteur donnée par les proportions de l’édifice, eût un air élancé, bien assis, un grand air, un aspect élégant et noble ? Entrez dans ce passage : tous ces problèmes ne sont- ils pas résolus ? Par un savant mélange de colonnes à jour et de pieds-droits massifs se succédant et s’entr’aidant, par un heureux emploi de lumières latérales, il fait grand jour sous cette voûte, et la longueur en est déguisée. La décoration même est sobre et vigoureuse ; tout au plus à chaque clé de voûte reste-t-il à reprendre quelques broderies de trop. En un mot, ce passage est un morceau d’architecture des mieux conçus, des mieux exécutés, une œuvre qui démontre que l’art contemporain, quand il en a la liberté, n’est pas impuissant à bien faire, car nous aimons à supposer que, ce passage n’attirant pas les yeux, personne autre que l’architecte ne s’en sera mis en peine. De là sans doute le succès. Nous ne savons pas si Visconti avait sur ce détail intérieur laissé quelques études ; nous en doutons. Il n’avait pu préparer que les parties extérieures du monument, et la façade même qui regarde le Palais-Royal n’est, croyons-nous, qu’à moitié son ouvrage. Les mansardes notamment, de forme si étrange et qui déparent cette ordonnance vraiment noble, bien qu’un peu surchargée, ne sont certainement pas de lui. Quant au passage voûté, c’est bien à son successeur que l’honneur, en revient tout entier. Lemercier lui aussi, sous son pavillon de l’Horloge, avait fait un passage justement admiré ; mais il n’avait à franchir que l’épaisseur de ce pavillon, tandis qu’ici c’est sous deux pavillons, plus un grand corps de logis, qu’il s’agissait de pénétrer.