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riennes, d’infatuation légitimiste, d’initiative personnelle et d’esprit militaire, ne peut laisser indifférens et insoucians en France que des patriotes infirmes. Nous ne pouvons pas vivre en sécurité sur la foi de la modération supposée d’un voisin trop puissant et trop armé d’autorité despotique. Il n’est pas permis ici d’ailleurs de nous paralyser et de nous enchaîner au nom du principe des nationalités. Ce serait garrotter la France jusqu’à l’étouffer que de la traiter en nation latine, et de vouloir, au nom de sa nationalité, la condamner à un perpétuel tête-à-tête avec l’Italie, l’Espagne et même le Mexique. La France, grâce à Dieu, n’est point assez latine pour cela ; elle doit au contraire ses meilleures conquêtes et la démonstration victorieuse de sa puissance d’assimilation sur les autres peuples à son perpétuel contact avec les tribus germaniques. Le grand Frédéric comprenait à merveille que la force d’expansion de la France était tournée du côté de l’Allemagne. « La France, disait-il, est bornée à l’occident par les monts Pyrénées, qui la séparent de l’Espagne et forment une espèce de barrière que la nature même a posée. L’Océan sert de borne au côté septentrional de la France, la mer Méditerranée et les Alpes au midi; mais du côté de l’orient elle n’a d’autres limites que celles de sa modération et de sa justice. L’Alsace et la Lorraine démembrées de l’empire ont reculé les bornes de la domination de la France jusqu’au Rhin. » Que ce côté unique, où, suivant Frédéric, nous ne fussions point étouffés par l’obstacle d’une barrière naturelle, soit fermé sur nous par la masse d’un état énorme, c’est un fait si contraire à toute notre existence nationale et à la constitution naturelle de la France, qu’il est impossible que les poitrines françaises n’en soient point oppressées.

C’est à prévenir les conséquences possibles de ce fait que doit s’appliquer désormais toute l’attention de notre politique. Avant tout, il importe que le terme le plus prompt soit mis à la guerre, afin d’en finir avec l’alliance italo-prussienne, et de rompre un engagement qui paralysait la liberté d’action de la France. Quoiqu’il y ait une sorte de moquerie du destin dans la nécessité qui oblige un gouvernement français à être le parrain de la paix où est confirmé l’agrandissement de la Prusse, nous ne regrettons point que la France ait été mise à même d’accélérer les négociations par la médiation impériale. Une fois la paix conclue, deux voies s’ouvrent à la France pour faire face aux difficultés et aux périls auxquels nous sommes maintenant exposés par l’agrandissement de la Prusse. Ces moyens sont l’accroissement de nos ressources militaires et le développement de l’esprit libéral dans notre politique intérieure. Il est nécessaire de les employer tous les deux. La question militaire est la plus urgente. Il ne parait malheureusement plus possible d’espérer ces réductions des armemens militaires de l’Europe, où l’on voyait de si grandes économies à réaliser au profit des budgets et des intérêts de l’agriculture et de l’industrie. Il faut, avant tout, veiller à la sûreté de la France. La Prusse vient de nous ap-