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l’indépendance, l’existence propre de ces deux avant corps, et leur donner un couronnement qui exprimât cette indépendance. On a fait le contraire. On les a terminés par deux amortissemens ondoyans, ou pour mieux dire par deux grandes consoles renversées et chargées de guirlandes, qui les rattachent, les relient, les soudent au pavillon, si bien qu’ils font corps avec lui et dénaturent toutes ses proportions. Il n’y a plus trace de sa haute stature : grâce à l’épaississement de sa base par l’annexion de ces deux avant-corps, il est devenu trop large pour sa hauteur : sa tête semble trop courte, elle est comme enfoncée dans ses épaules ; ces contre-forts onduleux, ces courbes, ces guirlandes l’énervent et l’amollissent ; en un mot, c’est un monument absolument méconnaissable : il ne reste plus trace du pavillon de Pierre Lescot.

Et ce que nous disons là du pavillon, il faut le dire de toute la façade. Ce qui en distinguait l’ordonnance, c’était l’espacement, non pas irrégulier, mais inégal des fenêtres : elles étaient divisées par groupes, combinaison moins monotone et souvent plus heureuse qu’une série d’ouvertures toutes séparées parle même trumeau. On n’a pas même respecté cette innocente particularité ; les fenêtres ont été refaites et placées toutes à la même distance afin d’établir une entière uniformité entre cette ancienne façade et celles qu’on créait à nouveau. Il est vrai que cet égal espacement des fenêtres n’était que la conséquence d’une autre innovation plus grave et moins respectueuse encore pour la noble façade, nous parlons de ce faux portique, de cette série d’arcades aveugles plaquées contre le soubassement pour continuer en apparence le portique véritable construit au pied des façades nouvelles. Ce simulacre, cette décoration de théâtre, sans accent, sans profondeur, sans ombre, sans lumière, substitué au plus simple, au plus ferme des soubassemens, c’est plus qu’un contre-sens, plus qu’une irrévérence, c’est une profanation. Quel architecte libre de toute entrave, maître de ses mouvemens, se serait jamais prêté à un tel sacrifice ? C’était la condition première du plan de Visconti que le maintien respectueux de ce pavillon et de cette façade. Il aurait eu peut-être des combats à livrer, mais il eût tenu bon, jamais il n’aurait démoli et refait à nouveau ces vénérables restes. À ceux qui lui auraient dit que cette extrême simplicité, ce défaut de parure, cet air de sévérité, étaient un triste vis-à-vis pour le palais d’un souverain, il aurait répondu que dans ces nobles lignes rien n’offensait les yeux et qu’il y voyait, lui, le plus heureux contraste pour donner plus d’éclat, sans trop les décorer, aux façades qu’il allait construire.

Pour lui, le nouveau Louvre devait avoir de la grandeur, de la noblesse sans le moindre apparat. Les vaines broderies, les sculp-