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sailles. Le grand siècle, en s’éteignant, a laissé sur la résidence royale, sur ses jardins déserts, sur son palais abandonné, sur ses rues sonores, sur ses divinités muettes, sur ses eaux impassibles et jusque sur ses habitans futurs, je ne sais quelles demi-ténèbres que le soleil ne percera plus. On y marche, pour ainsi dire, sur la pointe du pied, comme si l’on craignait d’y réveiller quelqu’un. Eh bien! Versailles, c’est Rome, avec la différence d’un siècle à vingt siècles, du grand à l’immense, du trône à la croix, d’un homme à un dieu. Versailles est la momie d’une époque; Rome est le squelette d’un monde. Seules, ces deux villes sont comparables entre elles dans les proportions que je vous donne. »

Certes il y a loin de ce ferme langage aux scènes de bain et de moulage qui rappellent la célèbre statue de M. Clésinger. On pourrait aussi recueillir et noter au courant du volume quelques-unes de ces pensées fines et finement dites que les femmes d’esprit aiment à transcrire sur leur album. « Une mère qui parle enfant à une autre mère se considère comme son égale. » — « Quand on n’a pas été un enfant, on ne devient pas un homme. » — « La jeunesse égaie ce que l’amour ennoblit. » — « La passion est pour les hautes intelligences ce que le vent est pour la mer : il la rend furieuse et magnifique, puis il disparaît et elle demeure. » — « Comme tous les artistes, j’utilisai ma douleur, et je l’usai en l’utilisant. » — « Les mots élastiques qui avouent sans expliquer, comme les femmes les connaissent ! » — « Pour les artistes, le pays étranger, c’est la postérité contemporaine. » — « L’on ne saura jamais, à moins de les avoir éprouvées par soi-même, les tortures d’un esprit qui se sent décliner. » — « Le passé, c’est l’éternité morte. » — « Il ne faut demander à la jeunesse que ce qu’elle peut donner, l’enthousiasme et l’oubli... »

Ailleurs l’auteur prend spirituellement ses mesures pour prévenir et réfuter d’avance certains reproches que pouvait soulever son livre. « L’immoralité dans l’œuvre ne commence qu’à l’infériorité du producteur, qui, ne pouvant satisfaire le goût des quelques juges qui commandent à l’opinion, en appelle aux curiosités secrètes et aux sensualités de la foule. »

Enfin, si l’intérêt du récit est parfois ralenti par les digressions qui effleurent des questions sociales, si les idées de M. Dumas touchant la recherche de la paternité ou l’indissolubilité du mariage peuvent sembler paradoxales, il n’en est pas moins vrai que l’homme qui discute gravement ces problèmes a dû y être amené par des réflexions sérieuses, et ne saurait être soupçonné de trop songer aux curiosités secrètes, aux sensualités de la foule, dont il parle si franchement. Tout cela est incontestable, et cependant nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que le sens, la valeur, la portée d’un livre sont en entier dans le succès qu’il obtient. Or pour l’immense majorité des lecteurs, — j’entends ceux dont le suffrage ou le blâme compte, — L’Affaire Clemenceau n’a signifié que ceci : la réalité dans le roman, — le roman si intimement lié, tellement fondu avec la