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s’affirme et survit dans la crise, amour dont rien ne le guérit, ni l’absence, ni son voyage à Rome, ni l’abîme d’ignominie où Iza s’enfonce de plus en plus. Il ne s’explique pas ce qu’il éprouve, il cherche à se donner le change, il essaie de se rattacher à l’art, à la gloire, à la paternité, aux espérances d’une vie nouvelle, aux sujets de méditation et d’étude qui font de Rome la patrie des affligés et des artistes. Vains efforts! l’aiguillon est resté dans la plaie, la chair crie, la réalité commande. Semblable au chien dont parle l’Écriture sainte, qui redit ad vomitum, Pierre revient à cette alcôve souillée dont un roi quelconque tient la clé, et qui ne peut plus lui donner, à lui, mari et maître, qu’une hospitalité clandestine. L’énigme est posée dans toute sa puissance hideuse; un pas de plus, et Clemenceau n’a que le choix entre l’assassinat et l’infamie. Ce pas, il le franchit; l’honnête homme, l’homme d’honneur se réveille en lui pendant que la bête achève de s’assouvir. Rendue à ses véritables instincts, Iza n’est plus qu’une fille; seulement, comme cette fille est sa femme, au lieu de la battre, il la tue.

On arrive ainsi à la dernière ligne sans songer à se mettre en garde contre les palpitations d’une semblable lecture, et la cause d’un auteur est gagnée, quand il a assez d’habileté pour rendre impossible, à mesure qu’on le lit, le sang-froid qui serait nécessaire pour le discuter. Peut-être nous accusera-t-on d’avoir imité de trop près le procédé de M. Dumas, et d’avoir déshabillé son roman comme il a déshabillé son héroïne. Peut-être y avait-il moyen d’esquiver la difficulté, de choisir dans l’Affaire Clemenceau, des pages qui n’ont rien de commun avec ce réalisme impitoyable. Il est évident que l’auteur a le respect de son art, qu’il suit le précepte de Boileau, qu’il a vaillamment travaillé à assouplir et à affermir son style. On sent qu’il a cherché à relever par le soin et le mérite de l’exécution ce qu’il y a toujours d’un peu bas dans ces victoires de la matière. Lisez par exemple ce fragment d’une lettre de M. Thomas Ritz : « Quant à ce Dieu que vous blasphémez et niez parce qu’il ne veut pas vous dire son secret, commencez par admirer ce qu’il vous montre, et vous n’aurez plus le temps de chercher ce qu’il vous cache. Ne le réduisez pas aux proportions étroites de votre bonheur ou de votre orgueil. Laissez-le procéder comme il lui plaît. Il sait pourquoi il a créé l’homme; il sait aussi où il le mène. Sachez, vous, que vous lui êtes utile, puisque vous êtes là, et aidez-le de votre mieux, puisqu’il veut bien vous donner un rôle dans son œuvre. Plus tard, il vous dira le reste : il existe, que cela vous suffise. Vous pouvez être assez malheureux pour en douter quelquefois; vous ne pouvez être assez aveugle pour en douter toujours, et à mesure que vous avancerez dans la vie, vous le verrez plus distinctement... »

Toute la lettre est de ce ton élevé et plein. Le chapitre sur Rome n’est pas moins remarquable; l’auteur a su y éviter le lieu commun et y trouver des aperçus d’une ingéniosité souvent éloquente : « Vous avez vu Ver-