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soudoyer des coalitions comme aux jours de Pitt et de Castlereagh, il n’y aurait pas assez de malédictions contre elle, et ce serait justice; ceux qui crieraient le plus fort sont les mêm.es qui disent aujourd’hui que l’Angleterre s’est laissé engourdir par le culte des intérêts matériels, et qu’elle ne compte plus. Une pareille niaiserie est affligeante, surtout quand elle se trouve dans la bouche de nos compatriotes. L’exacte vérité est qu’en Angleterre comme partout ailleurs il y a confusion et antagonisme dans les idées en matière de politique. La vieille école tory, celle qui en est encore à faire des calculs sur l’équilibre et la prépondérance, est enchantée de ce qui se passe sur le continent et ne se gêne pas pour le dire. Elle déclare qu’en laissant constituer une Allemagne qui mettrait six cent mille hommes à la disposition de la cour de Berlin, la France aura fait une excellente spéculation... pour l’Angleterre, et en effet celle-ci pourra soulager son budget en réduisant son effectif. Le torysme ne serait touché par une sorte de réminiscence qu’en ce qui concerne la Belgique et la Turquie. Une autre école, plus jeune et plus sympathique, a répudié la politique batailleuse et arrogante en honneur autrefois : elle cherche l’harmonie dans la liberté; elle n’admet plus la guerre qu’à l’état de légitime défense, et elle croit que les guerres seraient bien rares, si on ne les faisait plus qu’avec l’assentiment des peuples. C’est en ce sens qu’un des chefs de l’école économique, M. Samuel Laing, vient d’interpeller le ministre tory pour en obtenir la promesse qu’on n’interviendrait en rien dans les affaires continentales sans que le parlement eût été préalablement consulté. La majorité du peuple anglais est acquise aujourd’hui à cette doctrine pacifique. Son calme n’exclut pas la force. L’Angleterre possède des finances incomparables, un outillage industriel supérieur, ce qui est à considérer à notre époque de machinerie militaire; elle a enfin une population surabondante, organisée militairement sur une grande échelle. Ceux qui disent que l’Angleterre s’est énervée par sa réforme économique commettent une bévue qui pourrait être expiée par de dures déceptions.

En exposant les éventualités de la guerre actuelle, je n’ai pas la prétention de pénétrer l’avenir. Il s’agissait de montrer au contraire à quel point sont troublés aujourd’hui les calculs de probabilités politiques par la coexistence et la lutte de deux principes contradictoires. Il m’a paru important surtout que la valeur pratique du mot « nationalité » fût éclaircie, et voici la conclusion à laquelle je suis conduit.

Le trouble jeté dans la politique par le mot « nationalité » provient de ce qu’il est employé successivement et quelquefois simultanément avec trois significations différentes : on s’en sert pour expri-