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symptômes du mouvement unitaire qui se manifesta parmi les Allemands, la Russie se mit en travers. Elle protesta contre tout changement dans les institutions germaniques, et on lit dans une dépêche du prince Gortschakof ces remarquables paroles : « La confédération germanique est une combinaison purement et exclusivement défensive; c’est à ce titre qu’elle est entrée dans le droit public européen, sur la base de traités auxquels la Russie a apposé sa signature. » Aujourd’hui la Russie se trouve en présence du fait accompli, et d’ailleurs après ce qu’on a vu en Italie, après la bataille de Sadowa, peut-on contester à la race allemande le droit de se constituer comme elle l’entend? Ajoutons que le cabinet de Berlin a été bien prévoyant, bien habile, et que M. de Bismark a ménagé de belles cartes dans son jeu. Il détient sous le nom d’un Hohenzollern la Roumanie, et il peut la livrer à la Russie, ce qui ferait faire au tsar une belle étape, sur la route de Constantinople. Ce n’est pas tout. Pour la Prusse dominatrice de l’Allemagne, le duché de Posen n’est plus qu’un embarras. Elle peut le céder à la Russie ou, mieux encore, intimider celle-ci en la menaçant d’appeler à l’affranchissement toutes les parties de l’ancienne Pologne. Ce serait le coup de grâce de l’empire autrichien, dont se détacherait la Galicie. Une pareille mesure donnerait à réfléchir au tsar, d’autant plus que le rétablissement de la Pologne dans ces conditions cesserait d’être une utopie. Ce qui a empêché cette résurrection par le fait de la France, c’est qu’il aurait fallu passer incessamment sur le corps germanique pour porter secours aux Polonais, chose impossible, tandis que l’Allemagne unifiée aurait autant de facilité que d’intérêt à susciter entre elle et l’empire moscovite une nation militaire de dix millions d’âmes. Entre de telles séductions et de telles craintes, on conçoit aisément les hésitations silencieuses du gouvernement russe.

Et l’Angleterre! Elle est vraiment bien changée. Au début du siècle, elle croyait, comme tout le monde alors, que la gloire d’une nation est de régenter et d’exploiter les autres, et ses tories exagéraient cette idée à demi sauvage. Si des scènes semblables à celles auxquelles nous assistons s’étaient produites sur le continent, on aurait entendu de jeunes ministres fraîchement échappés d’Oxford ou de Cambridge, comme lord Palmerston, dire à l’Angleterre qu’elle est l’héritière légitime des puissances reines du monde, et s’écrier fièrement : Tu regere imperio populos memento... pacisque imponere morem. Naguère lord Palmerston, sollicité d’intervenir dans les affaires d’Amérique, ne citait plus Virgile; il répondait : « Une vieille chanson dit : Celui qui se mêle de la querelle d’autrui en sort souvent le nez cassé. »

Si l’Angleterre était encore d’humeur à se mêler de tout et à