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souverains conservés seront réduits tôt ou tard à quitter la scène, comme des acteurs dont on aurait fait des figurans. On n’a pas assez remarqué en France ce qui s’est passé l’année dernière à propos du renouvellement du Zollverein. L’union douanière avait été préparée par des arrangemens tendant à modifier les services des postes, des télégraphes, des chemins de fer, de la navigation, des poids, mesures et monnaies. On sentait bien dans les cours du sud que cette assimilation des organes de la vie sociale conduirait à une fusion complète. Les gouvernemens de l’Autriche, de la Bavière et du Wurtemberg faisaient obstacle au renouvellement du Zollverein; les populations, malgré leur antipathie instinctive contre la Prusse, se démenaient en sens contraire. La cour de Vienne eut seule la force de résister; les cours de Munich et de Stuttgart durent céder aux réclamations de leurs sujets. Quoi de plus naturel? Chaque région commerciale a un centre d’attraction vers lequel convergent tous les efforts. Pour l’Allemagne de l’est et du sud, les grands foyers de consommation, le courant des débouchés, sont vers le nord. Comprimées par une confédération teutonique qui serait malveillante, les populations industrielles du Wurtemberg et de la Bavière n’y tiendraient pas. Toute sorte de remuemens instinctifs les feraient rentrer dans le giron de la grande famille. Il est même fort douteux que les provinces allemandes de l’Autriche, celles qu’on veut bien laisser aux Habsbourg, résistent longtemps à cette attraction.

L’union germanique depuis le Jutland jusqu’à la Lorraine comprendrait 45 millions d’âmes : le Zollverein en réunit déjà 36 millions. Cette énorme agglomération de forces ne paraîtrait pas effrayante, si l’unité allemande se constituait sous des influences libérales et dans le sens qu’on voudrait voir fermement attaché au mot nationalité. Il y aurait profit pour tous, même pour la France, si l’on sentait circuler au-delà du Rhin cette vérité que les peuples n’ont aucun intérêt à se nuire, qu’avec le sentiment vrai de la liberté et le respect du droit d’autrui en toutes choses il serait indifférent que les nations juxtaposées fussent grandes ou petites, unitaires ou subdivisées. Nous n’en sommes pas là : en prenant des proportions colossales, la Prusse reste au nombre des états de l’ancien type, où une idée fausse dans une tête puissante, la visée ambitieuse d’un ministre, l’intérêt d’une coterie, le besoin d’une diversion aux démêlés intérieurs déchaînent le fléau de la guerre. M. de Bismark est la créature d’une aristocratie qui se relève d’une façon inespérée par la gloire militaire, et qui ne se fera pas faute de recourir aux mêmes moyens pour se soutenir. Il y a plus, M. de Bismark est débordé aujourd’hui par le torrent qu’il a déchaîné. Il