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féodalité et l’omnipotence monarchique. Il n’y avait eu précédemment que des adoucissemens successifs de la servitude; on tend à la liberté complète. Il en découlera un principe politique et un droit des gens correspondant à un idéal qui flotte encore dans les nuages, et auquel correspond vaguement le mot nationalité. A la place de l’ancien équilibre européen, basé sur des droits permanens et maintenu par des violences, s’établira un équilibre naturel et pacifique, résultant du droit incontesté qu’auront les populations de s’agglomérer, de se séparer, de se choisir les gouvernemens à leur convenance, suivant des règles que l’expérience fera connaître et que le temps introduira dans les mœurs.


IV.

Ces grands changemens dans l’économie sociale ne s’accomplissent pas spontanément, ils sont parfois l’œuvre des siècles; ils s’accentuent petit à petit jusqu’au jour où arrive à maturité la révolution politique qui en est la synthèse. La transition est nécessairement laborieuse et confuse. Les idées nouvelles s’infiltrent à travers les anciennes, les intérêts nouveaux ébranlent les anciens; il y a tapage et gâchis, comme dans ces édifices que l’on commence à rebâtir avant que la démolition en soit achevée. Nous sommes à notre tour dans une période de transformation ; de là le pêle-mêle et les antinomies qui donnent un aspect si bizarre à la politique de notre temps. Deux forces motrices sont en lutte : le système qui cherche l’équilibre dans la pondération des couronnes, et la revendication des droits populaires sous le nom de nationalités. Ces deux principes, essentiellement contradictoires, sont invoqués à tort et à travers. Rois et peuples, hommes d’état conservateurs ou publicistes révolutionnaires, passent d’une thèse à l’autre, y puisent les argumens à leur convenance, et s’en font des armes selon les besoins de leur cause.

Après l’unification de l’Italie en 1859, l’Allemagne se croit en péril, si elle ne se hâte pas de réaliser un de ses rêves, l’unité de la famille germanique. Une société démocratique déclare qu’il faut faire rentrer dans le giron les deux duchés de l’Elbe, parce qu’ils sont d’origine allemande. La Prusse exécute l’arrêt et confisque ces deux provinces sous prétexte de les affranchir. La démocratie résiste au nom du droit : de là un conflit dont M. de Bismark fait sortir la prépondérance de la couronne prussienne en Allemagne. En agissant ainsi, le ministre du roi de Prusse est dans les données traditionnelles de la monarchie; mais en même temps il jette le filet du suffrage universel pour capturer des sujets au profit de son