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gouvernemens ne parviennent pas à l’absorber, même en abusant de l’emprunt. La commandite industrielle se fait sous forme de sociétés, par coupures transmissibles, parce que personne ne veut plus immobiliser son avoir, et qu’il est d’ailleurs prudent d’éparpiller les risques. Les affaires étrangères ou indigènes sont acceptées indifféremment par le public. Le capital est une marchandise dénationalisée, et, pour le commerce auquel il donne lieu, tous les marchés du monde n’en font plus qu’un seul. Il résulte de là que l’avenir des familles, l’éducation des enfans et le pain du travailleur retraité tiennent autant à la prospérité des peuples ennemis qu’à celle de la patrie. On ne saura jamais combien de familles ont été bouleversées en Europe par la seule annonce de la guerre actuelle. Il y a en Allemagne, dans les états qui vont peut-être bientôt devenir prussiens, 4 ou 5 milliards de valeurs autrichiennes; tout belligérant qui écrasera son ennemi infligera aux neutres et souvent à lui-même un désastre financier. Le règlement des dettes publiques après les annexions va soulever un problème des plus difficiles. Ces questions sont si nouvelles qu’elles n’ont pas encore été mises à l’étude; pense-t-on qu’elles puissent être résolues équitablement sans de profonds changemens dans le système politique de l’Europe?

Vous entrevoyez, dira-t-on peut-être, la solidarité des intérêts et une sorte de fraternisation des peuples : en attendant, le monde est en feu. Il est vrai, une statistique militaire, publiée récemment, nous apprend que l’Europe actuelle, divisée en vingt et une puissances grandes et petites, entretient encore en temps de paix 2 ou 3 millions d’hommes, et que le pied de guerre, en ces mêmes pays, comporte un effectif de 5,996,000 soldats. Chose étrange! plus on prodigue la force humaine, et moins elle pèse sur les champs de bataille. La guerre tourne à la mécanique, et il semble que le succès va dépendre de la supériorité de l’outillage. Ce qui tuera la guerre, c’est l’énormité de la dépense. Plus l’armement se perfectionne, et plus il en coûte pour le créer et l’entretenir. Le progrès du jour annule les sacrifices faits la veille. On se flatte déjà d’avoir mieux que le fusil à aiguille, et 100 millions ne paieront probablement pas les commandes faites à ce sujet en divers pays. On dit aussi que notre brave canon rayé de Solferino va être distancé par des projectiles stupéfians. Dans la marine, c’est bien autre chose : le remplacement du bois par le fer a fait mettre à l’étude les moyens de perforer le métal. La force de résistance des plaques comme la force de projection des boulets pouvant être calculée mathématiquement, on augmente tour à tour l’épaisseur des cuirasses et la puissance des canons. Le dernier mot de la science est en faveur de