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La guerre d’ailleurs coûtait peut-être moins cher que la paix. L’armée en campagne vivait sur le paysan, sur le compatriote comme sur l’étranger; on levait des contributions sur le vaincu, et l’esprit de spéculation n’était pas étranger à la gloire des conquêtes.

Autant que l’intérêt financier, le tempérament de la royauté et les dispositions morales des peuples poussaient à la guerre. Les royautés avaient eu pour point de départ des annexions de territoires qui leur avaient donné la prépotence : subjuguer des territoires devint leur industrie instinctive et leur raison d’être. Chaque province acquise donnait des soldats de plus, c’est-à-dire le moyen d’acquérir encore. La poursuite à outrance de ce système était la plus grande gloire; la noblesse d’épée, la clientèle des cours, les artistes et les poètes façonnaient en ce sens l’esprit public. L’éducation religieuse et littéraire donnait incessamment la même note. Si le peuple s’élevait à l’idée de patrie, inconnue au régime féodal, la patrie pour lui s’idéalisait dans le monarque. Les tendances populaires, au surplus, étaient analogues à celles de la royauté. Voyez ces sociétés émiettées en compagnies et ces corporations toutes munies de privilèges exclusifs : l’antagonisme est partout, l’agrandissement du groupe auquel on appartient est la grande affaire. Le sentiment du droit d’autrui n’existe pas plus que dans les temps antiques où il n’y avait qu’un seul mot, hostis, l’hôte, pour désigner l’étranger et l’ennemi. L’hostilité étant la règle, on voulait un souverain fort pour être mieux protégé. La concession royale étant la source de tous biens, on aimait avoir un conquérant pour maître, afin qu’il eût plus de biens à distribuer.

De ces combinaisons de faits et de sentimens est sortie la politique moderne, pratique et droit. Officiellement, une nation est l’ensemble des acquisitions d’un souverain. Toute maison royale qui conquiert et acquiert par force ou subtilité, par mariage ou héritage, est réputée grande. Tout prince qui laisse amoindrir son domaine perd de son prestige. L’intérêt dynastique absorbe l’intérêt national. L’ambition devenant vertu, il en découle cet axiome qu’un des classiques du droit des gens, le grave Ancillon, déclare fondamental : « quiconque peut nous faire du mal veut ou voudra nous en faire. » Chaque pays doit se tenir au port d’armes, préparé à tout événement : de là le système des grandes armées permanentes qui engendrent le fléau des emprunts. Le monde étant considéré comme un champ de bataille, on tâche de s’y assurer les cours d’eau, les ports, les chaînes de montagnes, les voies stratégiques : de là la doctrine des frontières naturelles. — On combine des alliances, on vise surtout aux pactes de familles, à la solidarité des intérêts dynastiques : de là le rôle tout moderne de la diplo-