Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/703

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trahie le jour où on lui annonça la chute de Varsovie. Ce n’est pas le moment d’examiner s’il était plus possible en 1830 qu’en 1864 d’éventrer l’Allemagne pour courir au secours des Polonais; constatons seulement que l’abandon de la Pologne a été un début bien malencontreux, bien facile à exploiter contre le nouveau règne. Dire, comme une école en faveur aujourd’hui affecte de le répéter, que l’attitude indécise du juste milieu en face de l’étranger ait déterminé son impopularité et sa chute, c’est aller beaucoup trop loin. Une autre cause de ruine, ténébreuse, mais inévitable, résidait dans l’aveuglement et le laisser-aller du pouvoir en matière économique. Une oligarchie industrielle, créée par l’abus des influences, était obligée, pour se défendre contre les plaintes et les menées du prolétariat, de se resserrer en oligarchie politique. Là était la vraie cause d’irritation et le dissolvant; mais les phénomènes de cet ordre n’étaient pas suffisamment débrouillés à cette époque, et à peu d’exceptions près les hommes d’opposition n’y voyaient pas plus clair que ceux du gouvernement. On était bien plus sûr d’être compris et de remuer la foule en dissertant sur la politique extérieure, soit que l’on préconisât avec les conservateurs les avantages de la paix, soit qu’on récriminât avec l’opposition contre l’abandon des peuples en souffrance et l’abaissement du pouvoir en face de l’étranger.

Avec la révolution de février, le mot « nationalité » entra dans le vocabulaire diplomatique. Dix jours après la chute de la monarchie parlementaire, le 5 mars 1848, M. de Lamartine lançait une éclatante proclamation « pour faire connaître les principes et les tendances qui allaient diriger à l’extérieur la politique du gouvernement français. » Il s’agissait alors de rassurer les cabinets conservateurs sans décourager les peuples tentés par l’exemple de la France. Ce ne fut point une difficulté pour M. de Lamartine, grâce à ce langage illuminé de poésie, où la précision n’est pas de rigueur. En répudiant au nom de la république toute arrière-pensée de conquête ou de propagande, M. de Lamartine affirmait que la condition de la paix devait résider à l’avenir dans la reconnaissance et le respect de l’indépendance des peuples. « En 1792, disait-il, les idées de la France et de l’Europe n’étaient pas préparées à comprendre l’harmonie des nations; » mais voici venir « la grande nationalité intellectuelle et morale » qui sera le couronnement de la révolution française. La même idée reparaît encore affaiblie dans la constitution républicaine votée le li novembre 1848. a La république française, y est-il dit, respecte les nationalités étrangères, comme elle entend faire respecter la sienne. »

Ce platonisme révolutionnaire ne répondait guère à ce qu’atten-