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timent des peuples que César ou Louis XIV. Je parle ici du Napoléon vrai et vivant, pris sur le fait, et non pas du Napoléon quelque peu fantastique inventé après coup d’après les conversations attribuées au prisonnier de Sainte-Hélène. Le nouveau bonapartisme, ayant pour thèse l’autonomie des peuples, ne prit d’ailleurs une forme rationnelle qu’en 1839, où il fut développé avec une habileté et une ampleur de prévisions trop peu remarquées alors par un jeune homme de trente et un ans, l’auteur des Idées napoléoniennes.

La connivence de la restauration avec la sainte-alliance la rendit suspecte. L’opinion fit aux Bourbons de la branche aînée un procès de tendance où ils succombèrent. Toutefois la politique extérieure ne tenait qu’un rang secondaire dans les préoccupations de la démocratie militante. Dans le fameux programme de l’Hôtel-de-Ville, dicté en pleine effervescence par les combattans de juillet, il n’est point parlé, même par allusion, des traités de 1815. La question surgit un peu plus tard à propos de l’insurrection polonaise. J’imagine que les combattans de juillet n’auraient pas été moins embarrassés que Louis-Philippe, s’ils avaient été mis en demeure de donner un sens précis, une portée pratique à leur requête : le mot « nationalité » n’était pas encore une monnaie courante. Il se serait trouvé sans doute d’ardens patriotes qui auraient demandé qu’on déchirât les odieux traités, qu’on reprît la frontière du Rhin, qu’on prêtât main-forte à tous les peuples en travail d’affranchissement; mais, si Louis-Philippe eût pris ce programme à la lettre, il aurait à coup sûr dépassé de beaucoup les aspirations libérales du pays.

Un diplomate qui a pu prendre sur le fait la politique du gouvernement de juillet dans ses relations avec l’étranger, M. de Garden, l’a caractérisée ainsi : « Après 1830, il se manifesta sous les auspices de M. de Talleyrand et par l’organe de MM. de Sainte-Aulaire, de Barante, d’Harcourt, de Rayneval, de Rumigny, Maison, Flahaut, Bresson, une école de diplomatie qui, sans rechercher auprès des diverses cours une sympathie impossible à obtenir, mais espérant une impartialité favorable, s’imposait le devoir de prouver à l’Europe que la France avait pu faire une révolution sans être une perpétuelle menace pour les autres états, et s’appliquait à démontrer que la clé de la paix est à Paris. » Ces diplomates étaient naïvement dans les traditions de leur emploi. A gens pondérateurs d’un équilibre européen basé sur les traités, pouvaient-ils comprendre que les traités fussent anéantis et les nations transformées par le simple effet des désirs de la multitude? La logique populaire, peu gênée par les faits, qui lui sont à peine connus, a d’autres allures; elle procède par sentiment et par intuition. La foule, où l’on aimait à chanter avec Béranger « la sainte-alliance des peuples, » se crut