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blique lui avait données et qu’elle aimait à considérer comme ses limites naturelles, a le versant qui s’élève depuis le Jura jusqu’à la mer, et d’où sortent les fleuves adjacens au Rhin, » avait dit Carnot. La France, condamnée en outre à payer une énorme contribution de guerre, dut héberger dix-sept garnisons jusqu’à parfait paiement, comme un débiteur insolvable, et elle n’échappa à l’étreinte de ses ennemis qu’en anticipant l’échéance de sa rançon. Tout cela était bien dur, et cependant on aurait peut-être subi sans trop d’irritation les conséquences de la défaite, si elles avaient été bornées à des pertes matérielles. Le droit du vainqueur, admis sans contestation et brutalement pratiqué à cette époque, autorisait l’affaiblissement du vaincu et la mise à sa charge des frais de guerre. Pendant la veine de ses triomphes, l’empire avait donné à cet égard de tels exemples que les coalisés, en pensant à ce qu’ils avaient souffert, se croyaient sans doute bien modérés dans les représailles. Toutefois dans les traités de 1815 il y avait une chose vraiment intolérable : ce fut l’esprit qui les dicta.

Partisans routiniers de l’équilibre européen, les négociateurs du congrès de Vienne en cherchèrent les conditions non plus dans l’amoindrissement d’une couronne prépondérante, mais dans la suppression du principe révolutionnaire. Cela touchait à l’utopie. Comment équilibrer la force des bataillons et celle des idées? On imagina de grouper les monarchies conservatrices autour de la nation suspecte; on trouva ingénieux que les puissances chargées de la police de l’Europe eussent toutes une main posée sur la France, comme pour l’appréhender au corps si elle redevenait turbulente, et à cet effet il y eut des dépècemens de territoires, des trocs de provinces, des lotissemens de populations arbitraires et scandaleux. Chaque négociateur se montrait exigeant pour son pays; on se disputait le butin à partager en comptant les multitudes par têtes et les contrées par surfaces, et comme au lendemain des batailles antiques nombre de gens se demandaient tristement à quels maîtres ils allaient être adjugés. Il eût été prudent de mettre quelque discrétion dans la forme, de respecter quelque peu les instincts et les coutumes. La diplomatie au contraire mit de l’ostentation à heurter les sentimens populaires; c’était une manière de signifier aux peuples qu’ils n’allaient plus compter en politique. Tout cela se faisait gaîment; c’étaient les intermèdes d’une espèce de féerie, pleine de splendeurs et d’intrigues réjouissantes. « Depuis les congrès de Vienne et d’Aix-la-Chapelle, écrivait Chateaubriand en allant lui-même jouer un des premiers rôles au congrès de Vérone, les princes de l’Europe ont la tête tournée : c’était là qu’on s’amusait et qu’on se partageait quelques peuples. »