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triche, qui n’aurait pas osé demander pareille chose; les deux assemblées législatives ne sont pas même consultées. Le principe émancipateur est tellement effacé qu’aucune protestation ne se fait entendre. — C’est ainsi que Venise est devenue autrichienne, et comme l’heure de l’expiation arrive toujours pour les iniquités politiques, celle-ci met aujourd’hui l’Europe en feu.

Bien que la république usât son principe en l’appliquant à faux, elle restait redoutable par le déploiement de son énergie guerrière. L’ancien objectif de la diplomatie se trouvait ainsi déplacé. Au lieu de faire consister toute la science politique dans l’équilibre des couronnes, la préoccupation des cabinets étrangers fut de grouper les souverains, faibles ou forts, afin de contenir l’esprit révolutionnaire, qui avait adopté la conquête comme moyen de propagande. Avec Napoléon, le système français se modifia. Par ses ambitions dynastiques, il se rapprochait du procédé d’équilibre que les vieilles monarchies abandonnaient. L’édifice impérial qu’il essayait d’élever avait besoin de contre-forts. Au lendemain de chaque victoire, il prenait l’Europe entre ses mains puissantes, la remaniait en vue de constituer un système fédératif à son usage, et à la fin, ayant reconnu que des trônes nouveaux, façonnés avec des élémens anciens, n’offraient pas des points d’appui suffisamment solides, il avait été réduit à se rabattre sur sa propre famille pour y trouver des alliés sûrs; il avait donc improvisé pour ses frères et parens des royaumes en Espagne, dans la Haute et la Basse-Italie, en Westphalie, en Hollande, tout autour de la France. Les manœuvres en sens inverse de la part des anciennes familles souveraines pour faire digue à la révolution, et de la part de Napoléon pour susciter des puissances en solidarité intime avec la dynastie impériale, donnent la clé des coalitions et des guerres qui ont ensanglanté cette époque. Il faut le répéter, dans ces chocs monstrueux, le noble idéal de 1789, l’espoir de l’émancipation par le droit et la liberté, s’était obscurci. Les princes d’outre-Rhin permettaient bien qu’on s’échauffât dans les rangs en parlant d’indépendance, de même que le César français laissait parler de démocratie autour de lui : en réalité, les instincts des vieux régimes avaient repris le dessus, et le principal ressort était encore la haine de peuple à peuple. L’esprit militaire, dont on s’était affolé, avait tué l’esprit politique, et la guerre n’étant plus qu’un écrasement de bataillons, la victoire devait rester en définitive aux plus gros bataillons.

La France vaincue fut douloureusement éprouvée. Tous les fruits de son labeur gigantesque depuis 1789 lui furent arrachés d’un seul coup : elle perdit non-seulement les conquêtes démesurées et disparates du premier empire, mais ces frontières que la répu-