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déclaration des droits de l’homme. Quelques lignes de ce document méritent d’échapper à l’oubli. — « Les peuples sont respectivement indépendans et souverains, quels que soient le nombre d’individus qui les compose et l’étendue de territoire qu’ils occupent : cette souveraineté est inaliénable. — Chaque peuple a le droit d’organiser et de changer les formes de son gouvernement. — Un peuple n’a pas le droit de s’immiscer dans le gouvernement des autres. — Les entreprises contre la liberté d’un peuple sont un attentat contre tous les autres peuples. » La généreuse pensée de Grégoire fut applaudie, sans être prise en considération. On sentit qu’il était contradictoire de déclarer tous les peuples libres en les liant par une espèce de contrat sur lequel ils n’étaient pas consultés. L’acte constitutionnel de l’an III ne touche le droit des gens qu’au point de vue de la procédure intérieure, et attribue à l’assemblée législative le droit de paix et de guerre. A partir du régime consulaire, on rentre de plus en plus dans le courant des anciennes traditions; on renonce à poser des principes abstraits, et sauf le contrôle indirect résultant du vote des subsides dans les pays parlementaires, le chef du pouvoir exécutif recouvre, en matière de politique extérieure, l’initiative et le libre arbitre qui constituaient autrefois l’attribut principal de la royauté.

Non-seulement la révolution française ne parvint pas à formuler une théorie nouvelle du droit des gens, mais on la vit bientôt agir contrairement à son principe, qui impliquait l’indépendance des peuples. La république, à la manière des anciens conquérans, consulta moins le vœu des populations que ses propres convenances. L’idéal du jour était de consacrer aux institutions républicaines un théâtre vaste et privilégié ayant pour limites naturelles le Rhin, les Alpes, les Pyrénées et la mer. Autour de ce domaine, on voulait agencer comme un chapelet de petites républiques pour éviter le contact immédiat entre le grand état populaire et les pays où régnait encore l’ancien absolutisme. Le démenti le plus direct et le plus violent qui ait été donné aux aspirations de 1789 est le traité de Campo-Formio. Le jeune et prodigieux général que la campagne d’Italie vient de révéler, pour ravir à ses rivaux l’honneur de commander la paix, s’empresse de signer les préliminaires de Leoben; il dispose du sort des peuples sans autre préoccupation que sa propre gloire, il anéantit non-seulement l’ancienne oligarchie vénitienne, mais une Venise nouvelle, italienne et démocratique, qui demandait à se constituer à l’image de la France. Le directoire, trop lâche pour désavouer un général victorieux, ratifie les promesses de Leoben par le traité de Campo-Formio. La république française donne les Italiens de la Vénétie à l’empereur d’Au-