dit toujours : C’est un nom triste… Et reprenant le dialogue : Qui es-tu ?
— Une fleur d’Asie transplantée en Europe. Mi-Géorgienne, mi-Française, cette confusion m’embrouille un peu. Je ne vois pas bien clair dans mon cœur.
— Je ne te comprends pas, Dudu, reprit-elle ; je te demande tout simplement qui tu es.
— Une pauvre enfant vendue par ses parens et achetée par un Anglais.
— Oh ! pour cela, c’est vrai, pauvre fille ! dit-elle naïvement. Je suis bien aise de voir que tu ne mens pas… Et après un silence : — Es-tu heureuse ?
— Je pourrais l’être ; on ne me refuse rien.
— Et tu ne l’es pas ?
— Non.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas.
Elle hocha encore la tête : — Tu le sais ; cela est écrit là ! Et elle montrait du doigt les tablettes. — À quoi t’occupes-tu ? reprit-elle.
— À jouer à la poupée, pour faire croire que je n’ai pas seize ans.
— Qui sait si je les ai ? dit-elle en levant furtivement les yeux vers moi. Et elle ajouta : — Qu’en pense-t-il, lui ?
— Il lui est venu des doutes qui le tracassent, et il charge ses amis de l’en éclaircir.
Elle tressaillit : — Pauvre petite ! si demain il disait : Je veux ! que ferais-tu ?
— Cela est bien simple, j’ai de si beaux yeux ! J’exigerais qu’il m’épousât.
Son visage s’enflamma de colère ; elle saisit la poupée par le milieu du corps, l’agita violemment en l’air, et je crus qu’elle allait lui briser la tête contre la muraille. — Jamais ! jamais ! tu mens ! s’écria-t-elle.
Mais un profond soupir de la négresse la fit rentrer en elle-même. Elle cacha un moment son visage dans ses mains ; puis d’une voix vibrante : — Réponds-moi. S’il dit : Je veux ! que feras-tu ?
— Je suis en pays libre ; il n’y a pas de marché qui tienne, je m’appartiens. D’ailleurs il n’est pas si terrible qu’il en a l’air, et il y a ici près des gens de cœur dont j’invoquerai le secours.
Pour la troisième fois elle secoua la tête. — Tu deviens bavarde. Il fallait me répondre : Je m’enfuirai jusqu’au bout du monde… Mais je t’aurais demandé : Avec qui ?