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blesses, se couronnant de leur faute comme d’une auréole, et le soleil qu’elles portent au front fait lever dans le cœur des trouvères des moissons dorées et ondoyantes de poésie… O disciple du grand Joseph, je vous le demande, que répondrez-vous à Lancelot du Lac, quand il vous dira que ce mot de la reine Genièvre : « Adieu ! mon doux et bel ami ! » l’a rendu vaillant et prud’homme, heureux dans ses détresses, riche dans sa pauvreté, insensible à la souffrance, invincible aux tentations ?… Le moyen âge, ce fils étonnant de la Germanie et du Christ, a mêlé le ciel aux choses de la terre et mis l’infini dans les sentimens du cœur. Si vous le louez d’avoir inventé le romantisme de la propriété, n’oubliez pas qu’il inventa à ses risques et périls l’idéalisme de la passion, et que le sacre de l’amour adultère est la grande fête qu’ont célébrée à l’envi ses poètes.

— Lancelot, Tristan, me répliqua-t-il vivement. Ces héros, comment finissent-ils ? Oui, quel est le dénoûment ? Le couvent ou la mort. Dans ce sacre de la passion, c’est le malheur qui officie.

— Écoutez, lui dis-je, écoutez. Tristan et la reine Yseult moururent jeunes, il est vrai ; mais, ensevelis dans la même chapelle, bientôt de leurs deux tombeaux on vit sortir deux ronces feuillues qui, s’élançant en arcade flottante et s’étant rejointes, se couvrirent de roses blanches. Jusqu’à trois fois, le roi Marc fit arracher ces ronces ; trois fois elles repoussèrent. Enfin le mariage consterné s’inclina devant ce miracle de la passion. La chapelle fut fermée, et, s’il en faut croire la légende, les ronces y sont encore en fleur. Que dis-je ? cela est certain ; la poésie moderne a fait un pèlerinage dans cette chapelle, et les roses blanches qu’elle y a cueillies ne sont pas les moins parfumées de sa couronne.

Et pour l’achever en lui rappelant tout ce que le moyen âge a osé, je pris dans le creux du châtaignier un livre que j’avais feuilleté, non sans intention, en l’attendant.

— Voici, lui dis-je, quelques lignes tirées d’un conte écrit au XIIIe siècle. Peut-être vous laisseront-elles peu d’édification. — « En paradis, qu’ai-je à faire ? dit Aucassin. Je n’ai souci d’y entrer si je n’ai Nicolette avec moi, Nicolette, ma très douce amie que j’aime tant ; car en paradis vont seulement telles gens que je vous dirai. Y vont les vieux prêtres, et les vieux estropiés, et les manchots qui tout le jour et toute la nuit se tiennent devant les autels dans les vieilles églises, et ceux à vieux capuchons râpés et à vieux habits, ceux qui sont déchaux et dépenaillés et qui meurent de faim, de soif, de froid et de mésaise. Ceux-là vont en paradis ; avec eux n’ai-je que faire… Mais en enfer veux-je aller, car en enfer vont les beaux clercs, et les beaux chevaliers qui sont morts aux tournois et à la