Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/682

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous est-il dit, se défendre contre plus puissant que lui qui le voudrait déshonorer, et afin qu’aussi il soutienne le faible et celui qu’il a juré de servir.

— Cette épée, brandie par un fou, me fait peur. Sauve qui peut ! s’écria M. Adams, et, se levant brusquement, il s’en fut se promener le long de la falaise.

— O école de Manchester ! murmura M. de Lussy en le regardant s’éloigner, tu peux bien nous donner du coton, du fer et du pain ; mais je te défie de nous donner des hommes.

— Ne vous fâchez pas, lui dis-je, et, puisque nous voilà seuls, répondez-moi. Au moyen âge, je le veux, la possession de la terre était un ministère de justice, et de même que nul n’est prêtre sans qu’on lui ait conféré les ordres, nul ne pouvait être tenancier avant d’avoir reçu l’ordre de chevalerie. Ainsi le moyen âge institua en quelque sorte dans la chevalerie le sacrement de la propriété, et je reconnais là une grande pensée qu’il m’en coûte peu d’admirer ; mais cette investiture, ces cérémonies, cette robe blanche, ce bain, tout cela n’était qu’un vain appareil propre tout au plus à ébranler les imaginations : il faut autre chose pour renouveler une âme. L’Éthiopien, disait Grégoire le Grand, entre noir au bain et noir il sort du bain.

Il ne me laissa pas achever. — Que vous êtes injuste envers le moyen âge, si vous pensez que pour faire des chevaliers il se contentât d’une cérémonie ! Vous oubliez que l’adoubement était précédé d’un long noviciat. Et ici admirez, je vous prie, la profondeur de sens de ces prétendus barbares que méprisent à l’envi nos esprits forts et nos beaux esprits. Qu’est-ce pour nous que l’éducation ? Depuis la renaissance, elle consiste à donner des idées ; le moyen âge estimait que son principal office est de donner des mœurs et que la meilleure est celle qui dénature l’homme, je veux dire qui rompt sa volonté, qui violente ses instincts et l’arrache à lui-même. Voilà un enfant qui un jour ceindra la redoutable épée des justiciers. Qu’allons-nous faire pour le préparer à son noble métier ? La destinée l’appelle à gouverner les hommes ; qu’il se plie à vivre sous l’obéissance d’un maître ! Ln jour il dira : Je veux. Qu’il commence par aliéner sa volonté. Un jour il commandera ; que d’abord il se soumette et qu’il serve ! Comme il avait ennobli la propriété, le moyen âge ennoblit le service ; il en fit l’école oh se formaient les maîtres des peuples, et c’est par les offices les plus humbles de la domesticité qu’il initia des barons aux vertus du commandement.

L’enfant a sept ans. Sous la garde d’un vieil écuyer, il part, il s’en va faire son apprentissage à la cour du seigneur dominant ou dans le manoir de quelque frère d’armes de son père. Moment so-