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tait et la sommait de lui dire ce qu’elle désirait, elle se laissa longtemps presser de questions, puis finit par confesser qu’elle se mourait d’envie de posséder deux belles poupées dont elle lui fit le portrait. À ce coup, il se récria, s’emporta, mais sans oser trop dire ce qui le fâchait. Georgette fondit en pleurs ; ce fut tout ce qu’il tira d’elle. Outré de fureur, il acheta les poupées, et pour la première fois elle sortit de son indifférence, parut contente, mit quelque chaleur à le remercier… Et ce fut ainsi qu’il rentra dans sa villa, y ramenant, au lieu d’une maîtresse, une petite fille et deux poupées. Depuis lors rien n’a changé, et, tenu en échec par Dudu et Naïda, le pauvre homme, à ce qu’il dit, sèche d’amour. Quant à moi, je crois qu’il n’est amoureux que de sa volonté.

— Ma conclusion, lui dis-je, est que vous preniez votre parti en galant homme. Vous n’êtes plus en Turquie, vous êtes en France ; l’air qu’elle respire affranchit Georgette.

— Vous êtes un plaisant raisonneur ! s’écria-t-il en colère. Morbleu ! elle est à moi comme vos châtaigniers sont à vous. Je l’ai achetée à beaux deniers comptans et sans regarder au prix ; j’ai même failli recevoir pour ses beaux yeux un grand coup de couteau d’un gros Turc très emporté. Ne me répétez pas les sornettes que débitent les philanthropes. Ai-je inventé l’esclavage ? Il est de droit naturel, et je méprise tous les prétendus devoirs dont on ne trouve pas la raison dans la nature. Eh ! sans moi, je vous prie, quel eût été le sort de Mlle Georgette ? Elle languirait dans un harem. Venir, elle quatrième, au partage du cœur d’un butor !… O l’oison bridé ! si elle avait une once de jugement dans sa cervelle, comme elle bénirait son étoile qui lui a fait rencontrer M. Evelyn Adams ! Plaignez-la, monsieur le philanthrope ! Sans avoir à subir l’ennui d’une sotte cérémonie qui n’a jamais rien prouvé ni rien garanti, il dépend d’elle de devenir la femme d’un gentleman sans préjugés et sans vices, qui ne joue pas du couteau, et qui à sa mort lui laissera tout son bien.

— Bah ! lui dis-je, vous valez mieux que vous ne dites, et je vois bien que vous avez trop de cœur et trop d’esprit pour vouloir vous imposer. À ce compte, votre seule ressource est de vous faire aimer.

— Vous en parlez à votre aise, reprit-il. Je ne sais qu’y faire, je ne suis pas aimable. Mon père ne l’était pas, ma mère non plus. Ma sœur est la seule personne aimable de la famille. Elle m’a souvent reproché d’avoir l’humeur bourrue ; depuis que je suis au monde, on ne m’a pas vu sourire. Je suis Anglais, et les vrais Anglais se contentent d’avoir raison ; ils naissent à cheval sur leur droit.