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LE NOUVEAU LOUVRE.

homme se fût permis de bouleverser de fonds en comble les plans de son prédécesseur ? Le 3 janvier 1854, devant une tombe entr’ouverte, M. le ministre d’état, prononçant un solennel adieu, se félicitait publiquement que Visconti eût laissé assez d’études et de notes pour « assurer l’achèvement de cette grande œuvre telle qu’il l’avait conçue, » et voilà que dès le mois suivant on commençait à démolir une partie de cette grande œuvre pour la reprendre à nouveau, et non-seulement on renonçait au système de décoration projeté, mais on remaniait les constructions déjà faites, on en changeait les proportions, on en dénaturait l’aspect, en exhaussant le monument d’un étage dans toute l’étendue de ses façades. Or nous disons que ce n’est pas de lui-même et sur sa seule responsabilité qu’un jeune artiste, à son début, se serait donné de telles licences. Aussi, quand tout à l’heure nous parlerons de ses travaux, quelles que soient nos sévérités, ce n’est vraiment pas à lui-même, ce n’est pas à son talent que dans notre pensée elles s’adresseront. Nous sommes convaincu que les traditions et les exemples dont il était nourri, non moins que son goût naturel, plutôt porté jusque-là à la délicatesse qu’à la fausse grandeur, le devaient détourner de la voie regrettable où il s’est engagé. La faute en est aux influences plus ou moins élevées, plus ou moins subalternes, qu’il était, nous le reconnaissons, hors d’état de combattre ; mais en architecture les fictions parlementaires n’étant point abolies, c’est le ministre responsable, c’est-à-dire l’architecte, qui seul répond pour tous. Il faudra donc, à notre grand regret, que nous fassions peser sur un artiste habile le poids de fautes dont, à part nous et en bonne équité, nous aimons à l’absoudre, mais qui ne peuvent publiquement être imputées qu’à lui.

Le jour où Visconti fut mortellement frappé, le dernier jour de l’année 1853, la maçonnerie du nouveau Louvre était déjà sur certains points parvenue à toute sa hauteur. Ainsi le pavillon de Rohan, répétition exacte de l’ancien pavillon de Lesdiguières, du petit pavillon formant guichet sur le quai, vis-à-vis le pont des Saints-Pères, venait de recevoir ses dernières assises, le couronnement de sa corniche. Ce ne fut donc pas sans surprise qu’un certain jour les nombreux ouvriers qui peuplaient le chantier et le public qui passait dans la rue entendirent frapper à grands coups sur les pierres de cette corniche à peine mise en place. Le marteau travaillait à la rogner, à la réduire, à ne lui laisser que la simple épaisseur d’un bandeau séparant deux étages. Allait-on donc greffer un étage de plus sur cet étroit pavillon ? Personne n’y voulait croire : l’invraisemblance était trop grande, et pourtant il fallut se rendre à l’évidence, car bientôt on vit monter les pierres, on vit se hisser lourdement au--