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données principales du projet que l’auteur tenait pour nécessaires, et sur lesquelles aucun pouvoir, aucune considération ne l’auraient fait transiger. Ainsi pour rien au monde il n’aurait porté ses façades à la hauteur qu’elles ont aujourd’hui : il leur donnait un étage de moins ; à aucun prix non plus, il n’aurait renoncé aux combles apparens, aux toits à la française, et il s’était promis qu’au-dessus des corniches tout cordon de balustres serait sévèrement proscrit ; en d’autres termes, c’était à Pierre Lescot et non pas à Claude Perrault qu’il voulait, dans la cour du Louvre, emprunter ses inspirations.

Aussi, même en laissant dans l’ombre toutes les qualités de cet homme excellent et tant de justes raisons de déplorer sa perte, à ne parler que du Louvre, la mort prématurée qui frappa Visconti était un coup irréparable. On perdait avec lui non-seulement son talent, son goût, son expérience, son culte respectueux de ce noble monument, son scrupuleux désir de le ménager avant tout ; on perdait quelque chose de plus rare, une autorité suffisante pour tenir tête aux fantaisies, aux caprices qui assiégent tout architecte, même dans nos demeures privées, à plus forte raison dans les cours. Sans être d’un caractère absolu ni cassant, sans rechercher la lutte, en l’évitant plutôt, Visconti parvenait toujours à ne faire que ce qu’il voulait bien. Sa réputation, ses services, la confiance qu’il avait su se concilier, l’auraient mis à l’abri de demandes importunes et d’ordres malencontreux. Il fût resté maître de son œuvre sans presque avoir à la défendre, et nous aurions vu son projet s’accomplir sans encombre, tel qu’il l’avait conçu.

Que pouvait au contraire son jeune successeur ? Subitement appelé à ce poste d’honneur, à ce lourd héritage, par un jeu du hasard, par une de ces faveurs qui, pour être au fond méritées, n’en font pas moins l’effet d’un caprice ; connu par des succès d’école et par quelques travaux secondaires dans une résidence impériale, mais ignoré du public, n’ayant ni fait ses preuves en dirigeant lui-même de grandes constructions, ni donné de son savoir-faire un gage qu’on pût citer, de quel droit aurait-il prétendu faire triompher son goût et imposer son sentiment ? Évidemment on ne l’avait choisi que pour lui réserver un rôle plus modeste. Quelle que pût être son énergie, sa force de résistance aux volontés d’autrui, il était condamné à n’en pas faire usage. Se retirer, refuser d’obéir, à son âge et dans sa position, rien au monde n’était plus impossible : on eût traduit cet héroïsme en aveu d’impuissance. Du moment qu’il avait accepté, il fallait donc qu’il se soumît et devînt l’auteur apparent d’innovations que par lui-même il n’eût pas inventées.

Autrement comment croire qu’à peine entré en fonction ce jeune