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certes pas le défaut. Qu’on oppose cet exemple à ceux qui accusent les municipalités élues de manquer d’initiative et de magnificence, et qu’on y trouve une espérance pour obtenir l’affranchissement communal de Paris et de Lyon!

Longtemps favorisé par des avantages exceptionnels, le chef-lieu des Bouches-du-Rhône a gardé de la restauration un souvenir reconnaissant. Les sentimens religieux y fortifient les préférences légitimistes. La bourgeoisie, les ouvriers eux-mêmes se partagent en royalistes et en libéraux. Des sociétés de bienfaisance, des cercles nombreux entretiennent les vieux souvenirs dans des cœurs facilement émus et des esprits prompts à l’enthousiasme. La plus curieuse de ces associations a été fondée rue des Missions-de-France par le père Tessier, de la compagnie de Jésus. Elle réunit dans un local dont la décoration rappelle les confréries italiennes un grand nombre d’ouvriers. On ne compte dans la ville pas moins de 44 cercles autorisés, en dehors des sociétés de secours mutuels et de toute sorte de réunions constituées pour des motifs divers, — parmi lesquelles, à côté de la société des sauveteurs, des sociétés pour le placement des servantes, pour les logemens d’ouvriers, figure une société de spirites. Le plus grand besoin en effet de ces hommes à l’œil vif, à la parole ardente, au geste rapide, est de se réunir, de s’épancher, de même que pour les femmes, même les plus pauvres, le premier soin est de livrer à une coiffeuse leurs cheveux abondans, dont l’arrangement étudié contraste souvent avec les vêtemens les plus misérables. Dans un pareil milieu, l’esprit de conciliation est non-seulement utile, mais nécessaire, et la jalousie de l’indépendance locale y a laissé, même depuis les rigueurs de Louis XIV, une tradition qui ne permettrait pas le retrait des libertés municipales. Il faut s’en féliciter; il faut constater, et c’est en quoi l’étude de Marseille nous a semblé surtout profitable, tout ce que le culte de l’indépendance locale, de même que le sentiment de la dignité personnelle, apporte de force à ceux qui savent l’appeler à leur aide dans les entreprises difficiles. Si Marseille, dans un temps aussi court, a dépassé par l’importance des résultats et l’énormité des sacrifices ce qui s’est fait à Paris même, c’est que ces sacrifices ont été volontaires. Quoi qu’il en soit de certains dissentimens passagers, l’opinion publique est satisfaite de l’œuvre accomplie, la population s’en montre reconnaissante et fière, et malgré une gêne momentanée elle saura, nous n’en doutons pas, la poursuivre, et répondre par de nouveaux efforts aux exigences pressantes de l’avenir.


BAILLEUX DE MARIZY