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grand et salutaire exemple, était plus solennelle, plus éclatante, et, disons-le, plus introuvable. On ne recommence pas un Louvre tous les jours : le caractère qui s’imprime à un tel monument ne se corrige ni ne s’efface ; il reste, il survit et demeure attaché, soit à titre d’honneur, soit comme un triste témoignage, à l’époque qui l’a produit. Voyons donc froidement, sans passion, en quelle estime il faut tenir ces constructions nouvelles et quel souvenir de notre temps elles légueront à la postérité.


I.

Avant tout, point de vaines et tardives querelles à l’occasion du plan, bien qu’à vrai dire nos regrets se réveillent, et toujours aussi vifs, chaque fois que nous traversons cette place. Il était si facile, en y touchant à peine, d’en faire quelque chose de vraiment grand et d’incomparable en son genre ! Ne se souvient-on pas que les plus incrédules, pendant les courts instans qui précédèrent l’ouverture des travaux, quand les maisons venaient d’être abattues et le terrain déblayé, ne purent s’empêcher de reconnaître l’heureux effet de ces longues lignes encadrant cet immense espace ? Les proportions étaient si justes, bien que données par le hasard ! On pressentait si bien le mouvement, la vie que jetterait au milieu de ces lignes, non pas un maigre échantillon de gazon et d’arbustes comme les deux square en miniature qui font si pauvre mine au pied de ces pavillons, mais de grands massifs de verdure largement dessinés ! Comment n’en pas vouloir à ces deux montagnes de pierres qui ont dévoré moitié de cet espace et qui l’encombrent si lourdement ? Enfin n’en parlons plus : le fait est accompli, consommé, sans remède ; passons condamnation sur la question du plan.

Le seul regret dont on ne peut se défendre et qu’il est juste d’exprimer, c’est que l’auteur de ce projet n’en ait pas pu suivre lui-même l’exécution jusqu’au bout. Il y avait à coup sûr une vraie garantie, et comme une sorte de consolation pour ceux qui blâmaient le projet et qui en redoutaient les conséquences, à le voir mis en œuvre par des mains aussi sûres. Sans s’être longtemps nourri de classiques études, Visconti connaissait d’instinct les secrets de son art, et il avait reçu par héritage en quelque sorte de son illustre père, sinon la science de l’antiquité, du moins le goût et le respect du beau. Tout ce qu’il faisait était marqué à un certain cachet de distinction, de bonne grâce. Modeste et consciencieux, se défiant de son savoir, il cherchait les conseils, et pour ceux qui lui paraissaient bons, on peut dire qu’il se prenait en quelque sorte de pas-