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les alexandrins dans l’esprit simple et naïf qui avait inspiré ces cultes, et je restai convaincu que le symbolisme de Proclus et d’Olympiodore exprimait bien plus le caractère de leur temps et de leur école que celui de ces vieilles légendes, auxquelles déjà peut-être Homère et surtout Hésiode avaient apporté bien des altérations, chacun à sa manière[1]. Mais en 1817, à Heidelberg, je n’y regardais pas de si près, et je me laissais aller à l’attrait de ces études nouvelles. M. Creuzer se complaisait à m’instruire, et j’aimais bien mieux l’écouter que de lui faire des objections. Un peu de bon sens naturel me suggérait bien quelques défiances que le temps a depuis confirmées; je les retenais alors, et les sacrifiais volontiers à la conscience de ma propre faiblesse et à l’admiration sincère que j’éprouvais pour ce grand connaisseur de l’antiquité, doué d’une si riche imagination, et qui n’était guère moins artiste et poète que philologue et antiquaire[2].

Je suivis à peu près la même conduite avec M. Hegel : j’essayai de l’entendre plutôt que de le juger. Il venait de publier son Encyclopédie des sciences philosophiques à l’usage de ceux qui fréquentaient ses cours. Je me jetai avidement sur ce livre; mais il résista à tous mes efforts, et je n’y vis d’abord qu’une masse compacte et serrée d’abstractions et de formules bien autrement difficiles à pénétrer que les traités les plus hérissés de la philosophie scolastique. Les ouvrages de saint Thomas et de Duns Scott sont des badinages en comparaison de celui-là. Heureusement je rencontrai chez M. Hegel un étudiant de mon âge, jeune homme instruit et aimable, M. Carové, né à Trêves, et qui, déjà pourvu en son pays d’une petite place de judicature, l’avait quittée pour venir écouter M. Hegel à Heidelderg, s’attacha à sa fortune, le sui- vit à Berlin et fut quelque temps privat docent et même, je crois, professeur extraordinaire à l’université de Breslau. C’est lui qui a bien voulu traduire en allemand mes premiers essais, et dans cet automne de 1817 il me rendit le service de lire avec moi quelques chapitres de la terrible Encyclopédie. Plusieurs fois par se-

  1. Sur la mythologie alexandrine, voyez FRAGMENS DE PHILOSOPHIE ANCIENNE, Olympiodore sur le Gorgias, p. 392-417, surtout Olympiodore sur le Phédon, p. 452 : « Des savans de l’ordre le plus élevé, frappés de l’évidente profondeur des interprétations alexandrines, n’ont pas hésité à demander à cette école des lumières sur les anciennes religions grecques et asiatiques, et selon nous, en suivant ces interprétations, ils ont souvent prêté aux cultes antiques et à l’art, qui a servi d’interprète à ces cultes, des intentions raffinées, inconciliables avec les faits et même avec l’état de la civilisation à ces époques reculées, etc. »
  2. Quelques années après, en 1819-1821, M. Creuzer a donné une nouvelle édition très améliorée de la Symbolique, et c’est sur cette édition qu’a été faite la belle traduction de M. Guigniaut avec des changemens, des additions et des notes qui rendent cette traduction bien supérieure à l’original.