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che, deux personnes différentes d’aspect et d’attitude : la première est un vieillard qui, debout, regarde cette scène avec un air réfléchi et recueilli; la seconde prie. Des deux côtés du tableau, à droite, près de la crèche, un édifice qui commence à sortir de terre, mystique image de la nouvelle église qui s’élève sur les ruines de l’ancienne, figurée par les débris du temple auquel, comme nous l’avons dit, la crèche est adossée; à gauche, Jérusalem se prolonge circulairement. La perspective, déjà bien marquée, porte au-delà de Jérusalem sur des montagnes bleuâtres.

Voici maintenant deux autres morceaux que MM. Boisserée attribuaient aussi à van Eyck. A Dieu ne plaise que j’oppose le jugement d’un écolier à celui de connaisseurs tels que ceux-là! Mais ces deux ouvrages me semblèrent d’une tout autre manière, ou du moins d’une manière plus naïve. Ils se font pendant l’un à l’autre. Ce sont l’Annonciation et la Présentation au Temple. Ici, une petite chambre et un lit rouge cramoisi; à droite, la Vierge à genoux qui prie, et se retourne pour voir l’ange qui remplit tout l’espace gauche; le coloris est d’une finesse extrême, mais il y a peu d’expression. La Vierge est une jeune fille innocente qui n’a pas encore la conscience de sa sublime mission. Là, Marie est mère et par conséquent déjà grave. Un temple et un autel; saint Joseph avec la Vierge qui présente l’enfant; sur le devant, une jeune fille qui porte la lumière et un vase plein d’eau.

Les trois tableaux d’Hemling que je rencontrai à Heidelberg ne sont assurément pas inférieurs à ceux que je viens de décrire. Je remarque d’abord une tête de Jésus-Christ d’un caractère extraordinaire. Est-ce un reste ou une imitation de l’art byzantin qui, comme l’église orientale, considérait dans Jésus-Christ le Dieu plutôt que l’homme? Jésus est représenté calme, serein, majestueux comme le Jupiter-Sérapis. Ce n’est pas le Verbe fait chair, exprimant en lui les tristesses de la condition humaine; c’est en quelque sorte le Verbe transfiguré, réuni à son Père, et portant déjà l’empreinte de l’éternelle tranquillité.

La pièce de leur cabinet qu’estimaient le plus MM. Boisserée était un saint Christophe qui, revêtu d’un manteau de pourpre, appuyé sur un grand bâton et portant l’enfant Jésus sur ses épaules, marche péniblement sur la mer écumante entre deux rochers placés sur le premier plan aux deux côtés du tableau. La scène est éclairée par l’aurore. Le saint retourne un peu la tête pour regarder le merveilleux fardeau dont il est dépositaire, et dans le lointain le soleil se levant sur la mer y produit des accidens de lumière les plus variés et les plus harmonieux. C’est un Claude Lorrain du plus grand éclat avec une teinte mystique. Sulpice Boisserée ne