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autre école qui se développa vite, et d’où sont sortis successivement et celui qu’on nomme le vieux Wohlgemüth et Albert Dürer, qui commença à entrer en relation avec l’Italie. En Belgique, l’école de Cologne trouva aisément des disciples dans la belle et industrieuse cité de Bruges : de là les frères van Eyck, qui, sans avoir jamais connu l’Italie, découvrirent la peinture à l’huile, et franchirent les limites où s’enfermait l’art byzantin. Gardons-nous d’oublier leur admirable compatriote Jean Hemling. Je n’ai vu chez MM. Boisserée aucune œuvre de maître Guillaume, l’auteur de la grande école qui produisit toutes les autres et remplit le XIVe siècle et même les commencemens du XVe; mais on m’y a montré divers morceaux de cette école, dans tous le même caractère purement byzantin : fond doré, couleurs éclatantes un peu crues, plus ou moins habile emploi d’encaustiques qui les maintiennent et les relèvent; l’unique procédé est toujours la détrempe. MM. Boisserée possédaient aussi quelques tableaux de l’école de Nuremberg avant Albert Durer; mais c’est celle de Bruges qui faisait la richesse et l’honneur de leur galerie. Comme je n’avais pas encore été en Belgique, les premiers ouvrages de Jean van Eyck et de Jean Hemling qu’il m’était donné de voir me transportèrent d’admiration. Jean van Eyck est un grand artiste par la puissance du coloris et par le fini merveilleux de l’exécution. On dirait un Vénitien égaré dans le nord. Quoique Jean Hemling n’ait pas connu la peinture à l’huile, que son pinceau est doux et pénétrant! Quelle mystique profondeur dans la composition, quel charme dans les moindres détails! Donnons ici une idée rapide des tableaux de van Eyck et d’Hemling qui m’ont alors le plus frappé.

L’Adoration des Mages passe pour un des derniers chefs-d’œuvre de Jean van Eyck, qui l’aurait achevé à l’âge de soixante-neuf ans. C’est un travail très considérable et d’une rare perfection. L’ensemble a une grandeur frappante, et dans les détails l’habileté technique approche déjà de ses dernières limites.

Sur le devant, au milieu, attachée au mur d’un temple ruiné et couvert de chaume, est une crèche où repose l’enfant Jésus, auprès de lui la Vierge, et à la crèche, derrière la Vierge, un taureau et un onagre; à droite, les trois rois mages, revêtus des plus magnifiques costumes de l’Orient, en adoration dans des postures différentes. Le premier et le plus âgé baise à genoux la main du Sauveur du monde : la figure de ce noble vieillard est celle de Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Le second roi s’incline et laisse paraître les traits énergiques de Charles le Téméraire. Le troisième est presque debout; il doit représenter quelque personnage historique que nous n’avons pu reconnaître. A quelque distance, un groupe d’Arabes qui s’arrêtent avec respect, suivis du cortège des trois rois. A gau-