Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/597

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soumise au clergé, ouverte aux enfans d’un seul culte, si ceux qui l’ont fondée le veulent ainsi. C’est la thèse que M. de Pressenssé défendit au congrès de Berne avec une rare éloquence et une indomptable vigueur. Les partisans de l’école laïque eurent le tort de vouloir imposer celle-ci même dans le cercle où cesse la légitime intervention de l’état, c’est-à-dire dans le domaine de l’initiative individuelle et de l’association libre.

En Belgique, la révolution de 1830 avait été faite en grande partie pour réaliser une séparation plus rigoureuse du pouvoir civil et de l’église. Sous l’empire de ces idées, l’homme d’état qui est depuis près de quarante ans le chef respecté du parti catholique, M. de Theux, nomma une commission pour réorganiser l’enseignement primaire. Cette commission rédigea au sujet de l’instruction dogmatique un article qui en quelques mots résout toutes les difficultés. Il est ainsi conçu : « L’état reste étranger à l’enseignement religieux. Les heures de classe seront combinées de façon que les élèves puissent recevoir cet enseignement des ministres du culte. » Ajoutez que l’instituteur doit tendre à développer chez les enfans les sentimens de morale, de vertu et de patriotisme, et la réforme est accomplie dans la loi. Pour la faire passer dans les faits, il faudrait ensuite des instituteurs capables de remplir leur nouvelle et importante mission ; ce serait aux écoles normales de les y préparer. Avant de finir, il reste toutefois encore un mot à dire. Dans les pays où le clergé exerce sur les populations une influence si grande qu’il peut enlever aux écoles une partie des enfans qui les fréquentent, il serait bon d’agir avec une grande prudence, car mieux vaut l’école soumise à l’inspection ecclésiastique que l’école vide. Répandez les lumières, multipliez les livres, améliorez l’enseignement, et les hommes s’affranchiront. Que la science se vulgarise, et les superstitions s’évanouiront ; bientôt la suprématie ecclésiastique, en vain revendiquée par les encycliques, ne sera plus qu’un souvenir du moyen âge. On peut avoir confiance dans les forces de la vérité. Dès qu’elle est suffisamment connue, le peuple finit par s’y rallier, parce qu’elle est toujours favorable à son véritable intérêt. Le grand mal, celui qu’il faut avant tout combattre, c’est l’ignorance. Les ténèbres engendrent toutes les servitudes, tandis que l’instruction rend les hommes impatiens du joug et avides de liberté. Les écrivains du XVIIIe siècle et les orateurs de la révolution n’avaient-ils pas été élevés dans les écoles du clergé ?


EMILE DE LAVELEYE.