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s’agit de ce christianisme de secte qui repousse ceux qui n’ont pas les mêmes croyances; non, quand il s’agit de ce christianisme social qui est supérieur aux divisions dogmatiques. On a distingué avec beaucoup de raison, en parlant des phénomènes économiques, « ce qui se voit de ce qui ne se voit pas; » cette distinction est applicable ici. Le travail invisible du christianisme au fond des consciences et en dehors des confessions dogmatiques est infiniment plus général, plus profond, plus puissant que ce qu’on aperçoit à la surface dans le cercle des églises. Le christianisme a pénétré notre législation et nos mœurs, nos idées et la société tout entière. Ce christianisme social domine les églises diverses, comme la science est supérieure aux formes et aux principes au moyen desquels chacun s’efforce de la saisir ou de l’exprimer. Il n’est pas resté enfermé dans les bornes étroites d’une église, il est devenu une force civile, laïque, l’âme de notre civilisation, un courant d’eaux vives qui a pénétré l’ordre social dans tous ses élémens. C’est l’influence de ce christianisme qui se fera sentir dans l’enseignement public, que la loi le dise ou ne le dise pas. L’école sera chrétienne, parce qu’elle sera l’émanation d’une société chrétienne. M. Thorbecke indiquait ainsi la véritable solution de la difficulté. Le christianisme dogmatique, objet de la foi et connu par la révélation seule, est une affaire individuelle et forme la sphère propre de l’église. Le christianisme social, laïque, qui transforme peu à peu la société d’après l’idéal de la justice, est au contraire une affaire de l’état, car il est perceptible, démontrable par les seules forces de la raison; il peut donc être enseigné par le représentant du pouvoir civil, par l’instituteur laïque.

Les mots « vertus chrétiennes, » objet de tant de débats et repoussés avec énergie, avec violence même par les catholiques, furent au contraire acceptés par les juifs. Un député Israélite d’Amsterdam, M. Godefroi, déclara qu’il voterait la loi telle qu’elle était proposée. « Les juifs, disait-il, peuvent admettre ces termes « vertus chrétiennes » dans le sens défini par M. Thorbecke, parce qu’ils ne signifient point des dogmes chrétiens, mais des vertus sociales que chacun doit admettre, à quelque religion qu’il appartienne. La pratique de la vertu étant l’objet de la morale, par culture des vertus chrétiennes on a voulu entendre l’enseignement de cette morale élevée et pure que le christianisme porte avec lui, et que les non-chrétiens peuvent accepter aussi bien que les chrétiens eux-mêmes, parce que c’est la morale universelle, la morale qui s’impose à toute conscience droite, à tout esprit éclairé. » Ces paroles d’un orateur juif montrent les progrès qu’a faits la tolérance, et combien les hommes des différens cultes, jadis si hostiles, sont près de s’entendre en s’élevant à une certaine hauteur.