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ce moment en fut l’apogée : bientôt commença le déclin. Depuis lors, la puissance de l’église a sans cesse décru, et la société s’est de plus en plus affranchie de sa tutelle. C’est dès ce moment qu’on voit la raison laïque, acquérant chaque jour des forces nouvelles, s’insurger pour conquérir la liberté et le pouvoir. A chaque révolte la théocratie répond par des anathèmes et des châtimens. Elle emprunte à l’intolérance antique l’art des supplices et des tortures, et le perfectionne encore. Et pourtant l’esprit nouveau qui soulève le monde, que le sacerdoce prétend extirper par le fer et le feu, n’est autre que l’esprit d’égalité, de liberté, dont l’Evangile a répandu partout les divines semences. Cette lutte séculaire est le grand drame des temps modernes, et le dernier acte n’en est pas encore joué. C’est le sanglant enfantement de l’ordre actuel, de la séparation de l’église et de l’état.

Le premier pas, le plus grand est accompli par la réforme lorsqu’elle fit de la religion non plus un ensemble immuable de dogmes et de rites imposés à la fois par l’église et par l’état, mais un sentiment intérieur, une action libre de la pensée individuelle. C’est en vain qu’on couvre l’Europe de bûchers et qu’on extermine des populations entières, le principe nouveau triomphe et la suprématie sacerdotale est coupée dans sa racine. Les États-Unis, puis la révolution française déduisirent hardiment les conséquences logiques du principe posé. — Les différens cultes devaient être des opinions libres, non des établissemens oppresseurs. — L’état avait à les respecter comme toute autre manifestation de la pensée; il ne devait plus ni les instituer ni les rétribuer, et il ne devait point non plus subir en rien leur contrôle. La législation, l’état civil, la justice, l’enseignement même, devaient être enlevés à leur direction, attendu qu’une religion n’est qu’une croyance et ne peut être un pouvoir. La sécularisation de l’école est. donc, on le voit, le dernier terme de ce mouvement émancipateur qui aboutit à la ruine de la théocratie et à l’établissement de l’état laïque. La revendication de la liberté religieuse est l’origine de ce mouvement. Pour qu’elle soit complète, il faut établir l’école laïque. Les hommes de la révolution française le comprirent avant la Hollande, avant les États-Unis, et ils l’ont formulé avec cette netteté de langage que donne la vue claire d’un principe. Voici comment s’exprime Condorcet en 1792 : « La constitution, en reconnaissant le droit qu’a chaque individu de choisir son culte, en établissant une entière égalité entre tous les habitans de la France, ne permet point d’admettre dans l’instruction publique un enseignement qui, en repoussant les enfans d’une partie des citoyens, détruirait l’égalité des avantages sociaux et donnerait à des dogmes particuliers une prééminence contraire à la liberté des opinions. Il était donc rigoureusement nécessaire