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généraux de la morale, ayant pour fonction d’assurer le règne de la justice, l’état ne doit point favoriser une confession particulière au détriment des autres. L’école établie par l’état laïque doit être laïque comme lui. Tous les citoyens contribuent pour une part à la soutenir de leurs deniers; il faut donc qu’elle soit ouverte à tous les enfans sans distinction de culte, et elle ne pourrait l’être, si elle était soumise à la direction des ministres de l’une ou l’autre confession.

De ce que l’on n’enseigne point le dogme, on a voulu conclure que l’école était irréligieuse; c’est à tort. Comme on dit en Amérique, elle est unsectarian' et point godless ; elle n’appartient exclusivement à aucune secte, mais il ne s’ensuit point qu’elle soit athée. L’instruction que l’enfant reçoit n’a pas pour but de l’enrôler définitivement dans telle ou telle communion, elle le prépare à comprendre les enseignemens de celle dont il fait partie. Il en est de même pour la politique : on ne vise point à inculquer aux futurs citoyens les doctrines de l’un ou l’autre parti; on veut seulement leur donner les aptitudes nécessaires pour se former eux-mêmes des opinions conformes à la justice et au bien de la patrie. Si dans un établissement où l’enfant demeure toute l’année on n’enseignait point la religion, ce serait là une lacune dont à bon droit on pourrait se plaindre; mais comme les enfans ne fréquentent l’école primaire que pendant quelques heures du jour, ils peuvent très facilement recevoir l’instruction religieuse dans leur famille, à l’église, à l’école même, où le prêtre est admis à se rendre en dehors des heures de classe. La religion cessera-t-elle de faire partie de l’instruction de la jeunesse parce qu’au lieu d’être enseignée par le maître elle le sera par le ministre du culte, et celui-ci n’est-il pas plus apte que l’instituteur laïque à bien donner cet enseignement? Dans toutes les confessions, la mission du prêtre est d’enseigner le dogme. Charger l’instituteur de cet enseignement, c’est donc envahir le domaine réservé des cultes, c’est permettre aux ministres des diverses religions de ne pas remplir un de leurs devoirs.

N’est-ce pas le cas d’appliquer ici la parole de l’Évangile et de juger l’arbre d’après ses fruits? Or les sentimens moraux et religieux sont-ils moins répandus, moins profonds dans les pays à écoles laïques que chez les nations qui ont conservé l’école confessionnelle? C’est tout le contraire. Les États-Unis, le Haut-Canada, la Hollande, sont peut-être les pays du monde où la religion, fortement enracinée dans les âmes, exerce le plus d’influence, et l’influence la plus moralisatrice sur la vie nationale. Comparez-leur sous ce rapport l’Espagne, les états romains, où l’instruction primaire est entièrement aux mains du clergé, et voyez de quel côté est l’avantage. En résumé, chez les peuples protestans, c’est la