Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/567

Cette page n’a pas encore été corrigée
563
LE DERNIER AMOUR.

Je reculai toujours sans bruit, mais je dus bientôt m’arrêter derrière une roche, au-delà de laquelle les arbres et les buissons plongeaient à pic dans le précipice de la ravine. Ils vinrent jusquelà, tout près de moi. Par là il n’y avait plus de sentier à rejoindre : c’était le désert, le silence et l’impunité !

Ils s’assirent si près de moi que je dus retenir mon haleine.

— Quelle idée tu as, disait Tonino, de venir dans ces broussailles, quand la grotte était si facile à gagner sans être vu de personne !

— Je n’irai pas me livrer à toi, répondit-elle, et subir des embrassemens qui m’humilient, parce qu’ils m’ôtent ma volonté, avant que tu n’aies répondu à ce que je t’ai écrit. Il le faut, je le veux, réponds !

— Crois-tu que, si je le voulais, tu me résisterais ici plutôt que là-bas ?

— Ici je te résisterais. Rien qu’en élevant la voix, je te donnerais peur. Là-bas, dans cette grotte maudite, j’aurais beau menacer et crier ; c’est là que tu es mon maître, c’est là que… Oh ! la première fois c’était malgré moi !… Ne fais pas ton méchant sourire… J’ai combattu toute une journée, et quand je voulais fuir, tu fermais la sortie avec tes bras qui étaient de fer. Tu as employé la force !

— Tu mens !

— Tu m’as tenue prisonnière malgré moi, je le jure devant Dieu !

— Est-ce pour revenir avec des reproches sur des souvenirs que bientôt après tu as trouvés si doux et si enivrans, que tu m’amènes ici ? Voyons, que veux-tu ? Ta lettre est aussi folle que les autres. Tu dis blanc et noir, tu m’aimes et tu me hais, tu aimes ton mari et tu n’aimes que moi. Tu as des remords et tu n’en as pas, tu veux adopter mes enfans et tu ne peux pas les souffrir. Avoue que tu perds l’esprit ! Je ne sais plus que faire de toi !

— C’est pourtant à toi de trouver le remède. Puisque je deviens folle, ce n’est pas moi qui le trouverai.

— Mais tu rends tout impossible ! Notre vie était si bien arrangée ! Nos deux mariages, qui semblaient devoir nous séparer, nous avaient assuré la tranquillité. Nous n’étions plus responsables du bonheur domestique l’un de l’autre, et c’était pour le mieux, car nous sommes trop passionnés pour vivre ensemble, tu le vois bien ! Toi avec ton excellent et charmant mari, moi avec ma bête de femme qui est douce et qui me craint, nous n’avions plus qu’à nous aimer avec rage, dans le mystère, sans lequel il n’y a plus d’amour, et en réservant à nos ardens plaisirs ces heures fortunées que l’on guette, que l’on se ménage à l’avance, et que l’on savoure comme une conquête sur la destinée ! Quoi de plus beau, déplus jeune, de plus complet que nos premiers rendez-vous ? L’hiver les a ren-