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LE DERNIER AMOUR.

— Oh non, monsieur, il ne faut pas !

— Pourquoi ?

— Madame a dit : Ne le remets qu’à M. Tonino. C’est une surprise que je veux faire à sa femme.

— Je me charge de la surprise.

— Et si madame me gronde ?

— Attends-moi là ; nous rentrerons ensemble, et je promets de dire à madame ce qu’il faudra pour que tu ne sois pas grondé. Tiens, descends dans la ravine, cache-toi et fais un somme. Je t’appellerai en repassant.

L’enfant ne se le fit pas dire deux fois. Je gagnai l’extrémité du bois opposée à celle qui touchait aux grottes. J’ouvris le carton qui n’était lié que par un ruban rouge, sans cire ni cachet : il ne contenait qu’un petit bonnet d’enfant ; mais le carton était un peu plus lourd que ne le comportait l’épaisseur apparente et la dimension. J’en mesurai exactement la profondeur en dedans et au dehors. Le fond avait une épaisseur un peu trop sensible ; donc il était double. Il fallait décoller le papier qui cachait la fraude. Comment opérerais-je sans laisser de traces de cette trop facile effraction ? La maison du médecin était peu éloignée ; c’était l’heure de sa tournée. J’étais sûr de pouvoir accomplir mon dessein. J’y fus en peu d’instans. Sa servante me permit d’entrer dans son bureau pour écrire une lettre, et, par discrétion et marque de confiance, elle m’y laissa seul. Je cherchai et trouvai de la gomme arabique, le papier blanc ne manquait pas. Je procédai à la séparation des deux feuilles de carton. Je trouvai une lettre des plus explicites.

« On ne me quitte pas, je ne pourrai pas m’échapper ! et tu vas m’attendre, tu m’attends déjà ! Je vois, je sens d’ici ta colère et ta jalousie ! Et je sais ce qui va m’arriver ! tu bouderas, tu aimeras ta femme, ou tu feras semblant de l’aimer. Des jours, des semaines peut-être se passeront encore sans que tu veuilles m’attendre de nouveau, sans que tu viennes me voir, sans que tu m’envoies un souvenir, un mot de consolation ! Et je serai encore obligée, comme hier, d’aller chez toi, et de feindre, et de subir les airs stupidement vainqueurs de ta chevrière ! Dieu, Dieu ! est-ce là ce que tu m’avais promis ? Que tu es fourbe et cruel ! Pourquoi faire semblant d’être jaloux ? Je n’ai plus d’amour pour Sylvestre, tu le sais bien. Je l’ai aimé, j’en conviens, je l’aime encore de vénération profonde et d’enthousiasme intellectuel. Il est mon idéal et mon dieu sur la terre. J’ai cru l’aimer autrement, je l’ai peut-être aimé ainsi, que sais-je ? Oui, il me semble que j’ai été bien heureuse dans ses bras et comme ravie au ciel ! Je ne veux pas te mentir ; … mais depuis un an, depuis que pour mon malheur j’ai