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LE DERNIER AMOUR.

prise tout ce qui n’est pas vous ! — Et comme je voulais l’empêcher de promener cette exaltation de commande le long des abîmes, elle reprit en s’aventurant de plus en plus : — Oh ! vous avez l’air de ne plus me croire depuis quelque temps. Je ne sais pas ce que vous avez, l’étude vous absorbe. Est-ce que vous allez redevenir chercheur et rêveur comme avant notre mariage ? Pourtant vous ne pensiez plus à vos livres et à vos recherches, et je croyais que quand vous vous reprendriez d’amour pour tout cela, vous me feriez chercher et étudier avec vous. Vous me l’aviez promis, et voilà que vous recommencez à penser pour vous seul, et à vous promener en ermite ! Est-ce vrai que vous voulez encore grimper demain aux chalets Zemmi ?

— Je n’irai pas, si cela vous contrarie.

— Allez-y, mais emmenez-moi avec vous, je porterai ma part de vos herbes et de vos cailloux.

— Soit, mais cela vous ennuiera beaucoup, et la course est rude. Vous êtes ce soir un peu souffrante.

— Mais non ! Pourquoi vous imaginez-vous cela ?

— Vous vous êtes querellée. Dieu sait pourquoi, avec Tonino. Vous savez que je vous interdis les discussions trop vives ; elles vous donnent la fièvre et n’amènent aucun bon résultat. Tonino suit la pente de son caractère, de ses instincts et de ses goûts ; vous ne la lui ferez pas remonter.

— Alors vous l’abandonnez k sa folle nature ? Vous ne l’aimez donc plus ?

— Pourquoi ce doute ?

— Vous ne lui parlez presque plus. Il s’en aperçoit, allez, et il en souffre.

— Il a tort, il s’apercevra qu’il se trompe.

— Eh bien alors ! ne le laissez pas devenir ambitieux.

— Il me semble qu’il l’a toujours été.

— Oui ; mais depuis qu’il est marié, c’est bien pis. Vous ne voyez donc pas cela ? C’est sa femme qui le perdra. Cette Vanina est sotte ; elle rêve d’être comtesse, je vous jure !

— Elle l’est. Qu’importe un peu de gloriole, pourvu qu’elle soit bonne épouse et bonne mère ?

— On n’est rien de bon quand on est bête comme elle l’est.

— C’est à mon tour de vous dire ce que vous me disiez de son mari : pourquoi ne l’aimez-vous plus ?

— Est-ce que j’ai jamais aimé l’un ou l’autre, moi ? Vous, vous êtes bon, vous êtes tendre, vous vous attachez à tous ceux qui vivent autour de vous ; c’est un besoin que vous avez. Moi, j’aime ou je hais selon qu’on vous apprécie. Si j’ai un faible pour Tonino,