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LE DERNIER AMOUR.

Nous nous prîmes à bras-le-corps. — Attendez, dit-il sans me lâcher, le plus fort poussera l’autre où il pourra.

— C’est convenu.

Il laissa retomber ses bras, il était pâle. — Mourir sans sacremens, ça vous est égal ?

— Je suis en état de grâce.

— Jurons-nous au moins que celui qui tuera l’autre ne laissera pas son corps aux vautours et aux aigles !

— Au contraire j’exige que vous laissiez mon corps où il tombera, et que vous vous sauviez.

Il ne pouvait me refuser une chance dont il pouvait profiter. Il se remit en posture de combat et tenta de me frapper ; je paralysai son bras sans lui rendre la pareille. Alors, voyant que je n’en viendrais là qu’à la dernière extrémité, il n’osa plus s’écarter des règles de la lutte. Malgré sa force et son courage, il était très ému, et, saisi par l’impression sinistre du lieu où nous nous trouvions, il avait dans le regard je ne sais quoi de lugubre et de terrifié. Je vis bien vite qu’il était perdu si je le voulais, et je le ménageai, cherchant à lui faire sentir ma supériorité sans en abuser. Au bout d’un instant, il tombait assez rudement et je le tenais sous moi. Je lui serrai la gorge sans colère, et comme il ne demandait pas grâce, je la lui offris.

— À quelles conditions ? dit-il en bégayant de chagrin et de honte.

— À la condition que vous ne parlerez jamais de ma femme ni de moi, en bien ni en mal.

Il le jura. Je l’aidai à se relever et à se rhabiller. Il était abattu et comme abruti. Il me suivit machinalement dehors jusqu’à une petite source où il but à plusieurs reprises. Quand je vis qu’il n’avait aucune contusion grave, puisqu’il avait tous les mouvemens libres, et que le ton violacé de sa figure s’effaçait sous la salutaire fraîcheur de l’eau, je le quittai. Il me rappela, et en me retournant je vis qu’il pleurait. J’allai vers lui.

— Vous m’avez humilié, dit-il, oh ! bien humilié !

— Vous vouliez que je le fusse par vous : le sort a décidé.

— Le sort ? oui, c’est cela ! je n’avais pas ma force aujourd’hui. L’idée d’être mangé aux chiens ou aux loups !…

— Vous ne voulez pas avouer que cela fait quelque chose aussi de n’avoir pas la bonne cause !

— Je n’ai plus rien à dire ; vous pouviez m’achever, nous n’étions pas convenus de faire grâce.

— C’était sous-entendu de part et d’autre.

— Monsieur Sylvestre, vous valez mieux que moi. Adieu ! Je sais