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REVUE DES DEUX MONDES.

Vous me forcez à prendre un parti extrême, le voilà pris. Comptons ensemble.

— Qu’est-ce que vous ferez contre moi ?

— Je vous tuerai, maître Sixte, répondis-je avec le plus grand calme.

— Vous me tuerez ?

— Probablement ! Je vous dirai devant témoins que vous en avez menti, et je vous frapperai, s’il le faut, sans haine ni colère, mais jusqu’à ce que mort s’ensuive de part ou d’autre. Voyez si, pour satisfaire votre dépit et votre rancune, vous voulez mettre votre vie dans le danger le plus inévitable et le plus sérieux.

— Croyez-vous me faire peur ?

— Si je croyais vous faire peur, ma menace serait lâche. Je sais que vous êtes tout aussi peu poltron que moi ; mais je sais aussi que, pour le plaisir de faire une mauvaise action, un homme qui a du cœur et de la raison ne s’expose pas à tuer ou à être tué. Vous réfléchirez à ce que je vous dis, maître Sixte ; c’est à prendre ou à laisser, et c’est mon dernier mot.

— Vous êtes un homme étonnant, reprit-il après avoir rêvé un instant ; je vois que vous êtes décidé à faire ce que vous dites, et je me demande pourquoi vous agissez ainsi. Je ne comprends pas.

— Si vous êtes calme, je pourrai me faire comprendre.

— Parlez.

— Veuillez vous souvenir de l’amitié qui me liait à Jean Morgeron, de la confiance qu’il m’avait témoignée, des devoirs que sa mort m’a imposés. Sa sœur avait commis une faute. Il la lui avait pardonnée. Il l’avait protégée envers et contre tous, et il l’avait ainsi aidée à se réhabiliter. Ce que Jean Morgeron avait fait pour sa sœur, je dois ne jamais l’oublier et le continuer autant que possible, car avant d’être son mari j’étais son frère. C’est comme tel que j’étais entré dans la famille.

— Cela, c’est vrai ; mais pardonner ! Est-il possible que vous pardonniez ce qui se fait maintenant contre vous ?

— Si cela était, je n’ai pas dit que je le pardonnerais dans mon cœur, ceci ne regarde que moi ; mais je le pardonnerais peut-être en apparence, si ma conscience me le commandait. Or je vous déclare que je ne veux prendre aucun parti avant de savoir si vous n’avez pas cherché à me tromper, et comme je ne veux m’en rapporter qu’à moi-même pour découvrir la vérité, tout ce que vous me direz sera comme non avenu. Renoncez donc à m’éclairer de vos lumières.

— Vous me savez honnête homme, et vous osez dire que je cherche à vous tromper ? Vous m’insultez !