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ment et à son instruction le sentiment de sa supériorité, nous lui montrerions sans doute le devoir dans le stoïcisme de la patience; mais nous nous inquiéterions aussi et notre cœur battrait de ses patriotiques susceptibilités. Nous voulons donc croire à la modération que l’on prête à la Prusse : nous estimons le peuple prussien, et nous assisterons sans chagrin à sa fortune, s’il consolide par une franche liberté intérieure les conquêtes qu’il doit aux armes; mais si son succès n’était que le succès d’une dynastie et d’une cour, si ses ressources accrues ne devaient être que l’instrument d’un pouvoir arbitraire, on serait bien obligé de se tenir en défiance et en éveil, et de chercher à balancer les agrandissemens prussiens par d’autres moyens que les influences morales et la propagande des idées, qui auraient eu nos préférences, mais qui nous manquent aujourd’hui faute d’un développement suffisant de vie politique intérieure.

Pour que la situation nouvelle de l’Allemagne s’établisse formellement, il ne reste plus qu’à recevoir une réponse de Vienne et à savoir si l’Autriche se résigne ou se refuse à la sentence d’exclusion portée contre elle par la Prusse. Cette réponse ne peut se faire longtemps attendre, et les Prussiens semblent vouloir au besoin l’aller chercher à Vienne même. Si le gouvernement autrichien envoyait un refus, la médiation de la France cesserait nécessairement, et les incertitudes actuelles seraient prolongées encore jusqu’au moment où la guerre aurait dit son dernier mot. Peut-être, si l’Autriche continuait la résistance, pourrait-il se présenter encore des occasions où l’intervention de la France aurait lieu de s’accentuer davantage; mais nous croyons peu à une résolution désespérée de la cour de Vienne : les moyens sérieux de prolonger la lutte semblent lui manquer. Dans cet état de choses, nous ne pensons pas devoir attacher grande importance à l’incident de la cession de la Vénétie. Il ne faudrait point pourtant considérer cette cession comme un expédient demeuré sans effet. L’Autriche, qui a commis la maladresse de retarder à l’excès sa résolution à l’endroit de Venise, a eu cependant le mérite ignoré de prendre cette résolution avant la bataille de Sadowa. C’est deux jours avant le désastre que l’empereur d’Autriche se décidait à céder Venise à l’empereur. Quoi qu’il en soit, les Italiens doivent être convaincus à l’heure présente de l’inopportunité de l’émotion qu’ils paraissent avoir éprouvée à la nouvelle de la cession de la Vénétie. La France en tout cas ne pouvait être entre l’Autriche et l’Italie qu’un intermédiaire, et l’Autriche ne pouvait point avoir la pensée d’en trouver un qui dût être mieux venu de l’Italie. Aussi bien l’Italie, qui est sûre d’avoir Venise, quoi qu’il arrive, sera toujours un peu redevable à quelqu’un de cette annexion. Si elle eût accepté l’offre de la France, notre gouvernement, suivant son système habituel, eût appelé les populations vénitiennes à se prononcer par le suffrage universel, et ce n’est point de la France, c’est des Vénitiens eux-mêmes que le royaume d’Italie eût reçu sa dernière province. L’irritation ressentie par les Italiens